Les femmes militaires
Les femmes militaires
Il était devenu nécessaire, après l’immense débat soulevé par la parution du livre La guerre invisible en 2014, de revenir sur le thème des femmes dans les armées selon une approche scientifique et objective. Les études sociologiques sur les femmes militaires sont nombreuses, mais elles commençaient également à dater, la plupart ayant été conduites à la fin des années 1990 au moment de la professionnalisation des armées.
Les femmes militaires est un ouvrage collectif réalisé sous la direction de Claude Weber, ethnologue, actuellement maître de conférences en sociologie aux Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan. Il est, entre autres, l’auteur de À genou les hommes… Debout les officiers. La socialisation des Saint-Cyriens (PUR, 2012). L’ouvrage sur les femmes militaires reprend et complète un colloque international qui s’est tenu en novembre 2013 aux Invalides à Paris. Les quatre parties reprennent ainsi les sujets des tables rondes : « le recrutement et l’entrée dans le métier », « l’exercice du métier », « la carrière militaire » et « le cas d’armées étrangères ».
Claude Weber souligne dans son introduction les difficultés qu’il a rencontrées, non pas à recueillir des témoignages de femmes qui ne soient pas auto-censurés mais à avoir accès à ces témoignages. Les acteurs institutionnels ont souvent freiné la recherche d’un panel de voix féminines plus larges. « Bien évidemment, il serait, dans ce domaine, absurde de prétendre à l’exhaustivité ou encore de tomber dans les travers, parfois tentants, de la généralisation ». Les différents récits de femmes militaires n’ont qu’une valeur de témoin dans cette étude ; elles ne sont en rien les porte-parole d’une catégorie. Il est néanmoins intéressant de remarquer que deux des témoignages les plus remarquables, et en cela de façon très différente l’un de l’autre, sont ceux d’officiers anonymes. De même, celui du colonel Anne-Cécile Ortemann, placé en conclusion, force le respect par l’humilité et la persévérance de cet officier. Il s’en dégage une impression résolument optimiste pour l’avenir des femmes dans l’armée.
Venant en appui des témoignages, les analyses de différents scientifiques, sociologues, anthropologues, politistes, historiens, apportent le complément nécessaire à l’objectivité de l’ouvrage. Leurs objets d’étude vont des parcours biographiques des femmes candidates à l’engagement, aux cas des armées belges, suisses ou américaines, en passant par le gendarme féminin, l’hypothétique modèle de féminisation qu’est l’Armée de l’air et la Garde républicaine. Qu’en tire-t-on ? Tout d’abord, la présence des femmes dans les armées est devenue indispensable pour satisfaire les besoins en effectifs. Ensuite, contrairement à ce qui est parfois avancé, l’amélioration des conditions d’intégration des femmes militaires ne s’améliore pas avec le temps. Les stéréotypes sont toujours aussi vivaces et « prédisposent à une division sexuelle du travail, à des évictions douces des femmes pour certaines trajectoires professionnelles, à des plafonds de verre, etc. ». Une fois affectées à ces fonctions sociales particulières, les stéréotypes sont renforcés et les femmes « intériorisent bien souvent les différences et « faiblesses » qu’on leur renvoie ; consolidant d’autant plus l’ordre établi ».
Dans sa conclusion, Claude Weber souligne, bien à propos, que ces constats et analyses ne sont pas propres au milieu militaire, mais existent de la même façon dans certains milieux civils. Placées en conclusion également, deux interventions institutionnelles viennent clore l’ouvrage. La première est celle du contrôleur général des armées Gilles Chevalier, chargé d’étudier la question de l’égalité entre les femmes et les hommes au ministère de la Défense. Il apporte avec son analyse un verbatim recueilli lors de son enquête, ce qui ajoute du crédit aux témoignages de l’ouvrage. La seconde intervention est la postface de Françoise Gaudin, haut fonctionnaire à l’égalité entre les femmes et les hommes de la Défense depuis 2012.
Les ouvrages comme Les femmes militaires s’avéreront toujours nécessaires ; car il ne faut pas tomber dans une banalisation des difficultés soulevées par la féminisation, banalisation qui aboutirait à taire les problèmes et à entériner ce qui est inacceptable. C’est en disant les choses telles qu’elles sont, et notamment en offrant la possibilité aux femmes courageuses de témoigner, que des progrès, aujourd’hui encore non satisfaisants, pourront advenir. ♦