L’hybridité – thème du numéro précédent – doit être regardée sous des approches différentes y compris théoriques. La confrontation du concept mis en avant aujourd’hui peut ainsi être revue au regard de la pensée du général Beaufre, théoricien et praticien de l’Art de la guerre.
Relire Beaufre pour penser l’hybridité
Reread Beaufre to think about hybridity
Hybridity—theme of the precedent number—should be seen under different approaches including the theoretic ones. The highlighted confrontation of concept today could then be reviewed in regard of the ideas of general Beaufre, who is a theoretician and a practitioner of the art of war.
Hybridité. Dans son sens commun, affaibli depuis l’« invention » du concept par le corps des Marines au milieu des années 2000, ce mot-valise désigne aujourd’hui autant l’action, que l’acteur dans la lutte du faible au fort ; serait « hybride » tout ce qui ne rentrerait pas dans le champ conventionnel de la guerre. Or, comme l’a récemment souligné François Heisbourg à propos de l’exemple russe en Ukraine (1), non seulement l’hybridité peut être une stratégie employée par le fort mais elle n’a rien de nouveau… S’il ne s’agit pas de remettre en cause la réalité du phénomène, il ne semble pas pour autant aberrant d’interroger la notion. En l’espèce, l’auteur s’appuiera sur la pensée du général d’armée André Beaufre.
Outre leur fonction politique – « hybride », à défaut de contenu, a acquis un contenant à forte résonance – les catégories permettent d’abord de penser, à condition de s’entendre a minima sur leur signification et de s’assurer qu’elles fassent sens en dehors d’elles-mêmes, prises dans un mode d’explication plus global. La recrudescence des travaux atteste d’ailleurs actuellement d’une tentative de redéfinition, qui ne peut s’expliquer que par la gêne à peine voilée à utiliser un mot, en vide ou trop plein de sens mais jamais réellement à sa place. Remarquons en particulier les travaux d’Élie Tenenbaum (2), de Guillaume Lasconjarias (3), du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations (CICDE) (4) ou le colloque organisé le 10 février 2016 à l’École militaire par le Centre de doctrine et d’emploi des forces (CDEF) (5).
Soulignons enfin que dans le glissement sémantique opéré, l’hybridité est désormais conçue comme pouvant intégrer un nombre important de modes, alors même que, par définition, il ne peut qualifier qu’une combinaison à deux ! Deux… pas trois, quatre ou cinq, voire une infinité, d’où le recours aujourd’hui, outre-Atlantique, à la palette de nuances allant du blanc au noir pour décrire plus subtilement un adversaire dont l’intensité du gris témoignerait de la variété de ses capacités. Pour forcer le trait, à une définition restrictive (la guerre hybride comme aptitude à combiner au niveau tactico-opératif les modes de guerre conventionnels et non-conventionnels) telle que la propose Élie Tenenbaum, s’oppose une acception extensive, globale et politique, qu’en donne par exemple Bertrand Badie, lequel définit l’hybridité comme la capacité à agir sur la scène internationale autant comme acteur public (comme État ou via l’État) que comme acteur privé (juridiquement irresponsable au sens premier du mot) (6). En réalité, plus que de s’opposer, la deuxième acception englobe la première, l’hybridité militaire pouvant se comprendre comme une variation du concept général dans un champ particulier. Le Hezbollah offre un exemple accompli de cette capacité à optimiser son action en alternant les postures. Pendant la guerre de juillet 2006, sa stratégie a pris la forme d’actions tactiques conventionnelles et non-conventionnelles ; puis, il a déployé une diplomatie hybride vidant de toute substance la résolution de l’ONU (7). Aussi, ces définitions de l’hybridité, restrictive et extensive, ne sont pas contradictoires mais s’emboîtent, à considérer cependant que leur périmètre soit bien entendu. Pour mieux en comprendre le sens, il faut d’abord distinguer hybridité et asymétrie, deux notions souvent confondues.
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