Russie-Europe : des malentendus paneuropéens
Russie-Europe : des malentendus paneuropéens
Alors qu’une grande partie de notre opinion publique est focalisée – à juste titre – sur la menace que constitue Daech, notre ennemi officiellement désigné, une autre partie de l’Europe, en particulier à l’Est, s’interroge sur la Russie et sa politique étrangère désormais inamicale, voire hostile, à l’Union européenne.
Plus de vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, une ambiance type « guerre froide 2.0 » semble désormais peser sur les relations entre l’Europe et la Russie, au risque d’entrer dans un nouveau cycle de tension, y compris militaire, d’autant plus qu’une importante méconnaissance de la réalité russo-européenne s’est instaurée depuis plusieurs années, en particulier à Paris où les clichés se mêlent à des questions de politique nationale, entre les pro-Poutine qui voient en lui « le » défenseur du monde chrétien contre la mondialisation « made in USA » et l’islamisation voulue par Daech, et ceux qui constatent à regret le recul du système démocratique russe incarné en son temps par Boris Eltsine, malgré ses défauts dont la corruption liée aux oligarques.
Connaître pour comprendre est donc plus que jamais indispensable et le nouvel ouvrage de Jean-Christophe Romer – fidèle contributeur de la RDN – arrive à temps pour faire un point de situation et apporter un éclairage informé et lucide sur les relations compliquées entre la Russie et l’Europe, alors même que la crise ukrainienne n’est toujours pas résolue malgré les efforts conduits en particulier par Berlin et Paris. En une centaine de pages bien denses, l’auteur dresse en trois chapitres un état des lieux marqué par des alternances de phases de dialogue et de méfiance, avec une question non résolue : quelles frontières pour l’Europe ? En incluant ou en excluant la Russie ? Des réponses argumentées à cette question historique en découlera alors une posture diplomatique plus claire.
En effet, l’absence de véritable réponse de part et d’autre pèse ainsi depuis toujours, en fonction des humeurs. Un coup, la Russie se veut européenne. Ce fut le cas durant le premier mandat de Vladimir Poutine. Aujourd’hui, elle semble récuser cette dimension. C’est une tentation permanente et qui a régulièrement opposé les slavophiles aux occidentalistes et qui désormais conduit la politique étrangère du Kremlin.
L’auteur évoque ici avec brio la complexité des rapports institutionnels établis après la défaite de l’Allemagne nazie avec une certitude sans équivoque, la méfiance permanente de Moscou vis-à-vis de l’Otan, malgré une « lune de miel » dans les années 1990 où tout semblait possible après l’effondrement du bloc soviétique, y compris une adhésion à l’Alliance atlantique, mais un intérêt certain pour la construction européenne, dans la mesure où celle-ci excluait les États-Unis comme puissance agissante. À l’inverse, la question de l’acceptation de la Russie par les instances européennes bruxelloises montre également des incompréhensions. Les erreurs d’appréciation ont été nombreuses en particulier ces dernières années avec d’une part, un durcissement idéologique de certains pays comme la Pologne, très hostile désormais à Moscou et d’autre part, un soutien sans nuance de l’Ukraine, aggravant la situation. La liste des malentendus s’est ainsi allongée, notamment sous le mandat actuel de Vladimir Poutine. Il est effectivement clair que Moscou se considère désormais comme une citadelle assiégée par une coalition soutenue par les États-Unis, renouant ainsi avec la doctrine de « containment » des années de guerre froide et l’expression d’un sentiment d’humiliation avec le refus quasi systématique de l’Europe de prendre en compte certaines propositions russes qui ont le mérite de vouloir ouvrir des pistes de discussion.
Il est donc urgent de retrouver un minimum de sang-froid pour les Européens afin d’analyser avec plus d’objectivité et de pragmatisme le besoin du dialogue avec Moscou, d’autant plus que la baisse durable du prix des hydrocarbures risque d’accentuer le national-populisme très en vogue en Russie renforçant de fait la popularité de son Président.
Ce premier « Carnet de l’Observatoire » répond avec panache à ce besoin de réflexion sur la Russie et promet un bel avenir pour cette nouvelle collection. ♦