Sortir de la guerre
Sortir de la guerre
Les études des « sorties de guerres » moins anciennes, et surtout moins nombreuses que celles portant sur les causes et le déroulement des guerres, n’en revêtent pas moins un intérêt accru.
Comment des pays, des nations, des peuples, des armées, des hommes passent de l’état de guerre à celui de paix, processus jamais simple, qui prend du temps, nécessite beaucoup d’attention de la part des pouvoirs publics et un discours légitimant. Les groupes auxquels s’intéressent les divers auteurs de cet ouvrage sont de plusieurs sortes. On pense d’abord, bien sûr, aux guerriers démobilisés, en particulier les soldats sous les armes. Il faut réorganiser leur retour, souvent dans des conditions difficiles. Tous doivent se réadapter. Mais la fin des conflits n’est pas sans conséquence pour les civils. Les déplacements forcés, fréquents durant les guerres, sont le plus souvent présentés et vécus comme des replis provisoires. Lorsque les guerres se terminent, certains, chassés de chez eux par les opérations, peuvent songer au retour, comme les réfugiés français de la Grande Guerre. D’autres, au contraire, sont contraints de quitter leur pays natal. La fin du conflit paraît sceller les expériences en donnant un sens au récit. Elle fait des uns des vaincus et des autres des vainqueurs. Mais ces mots ne sont pas toujours acceptés. Certains vaincus s’estiment trahis, ou du moins incompris, comme les anciens d’Indochine, sans parler de la thèse du « poignard dans le dos » dans l’Allemagne de 1919. D’autres sont dénoncés comme des traîtres : la contribution de Jean-Jacques Jordi démontre combien le chemin vers une représentation juste et sereine des « harkis » de l’armée française en guerre d’Algérie est difficile. Les innombrables expériences de la guerre et des souffrances qu’elle engendre apparaissent peu à peu intransmissibles à ceux qui n’ont pas vécu des épreuves analogues. La fin des conflits apparaît comme le moment où ces incompréhensions éclatent en plein jour. Chaque individu est alors en effet tenté de montrer ses blessures, puis d’en demander la raison, et d’abord à ses compatriotes, prêts ou non à comprendre tout ou partie de ses tourments et souvent, de ses remords.
Quand se termine une guerre ? Il arrive que, comme le 11 novembre 1918 sur le front français, une sonnerie de clairon suffise à signifier aux soldats la fin des opérations. Mais, faute d’opposer deux armées régulières et deux gouvernements unanimement reconnus, la fin des conflits peut s’éterniser et même s’identifier à un paroxysme de violence, ainsi que l’illustre la contribution de Benjamin Stora à propos de la guerre d’Algérie. La guerre par ailleurs ne se termine pas pour tous en même temps. Prisonniers et déportés ne reviennent pas immédiatement et lorsqu’ils rentrent, leur réadaptation à une patrie qui a changé en leur absence et a connu d’autres souffrances que la leur, n’est pas simple. Certains prisonniers allemands en URSS ne sont rentrés qu’à la faveur de la visite de Konrad Adenauer à Moscou en septembre 1955. Pour d’autres le conflit n’aura jamais de fin. C’est le cas dans le triangle d’or en Birmanie, des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) jusqu’à 2016, de l’Afghanistan, de l’Est du Congo et de tant d’autres régions où la qualité de guérillero est un attribut permanent qui se transmet de père en fils ! Sortir de la guerre c’est aussi reconstruire. Les militaires doivent réorganiser la mutation du pied de guerre au pied de paix. Cela consiste tout à la fois à « démonter » un système désormais trop lourd et coûteux et à réfléchir aux besoins immédiats et aux perspectives plus lointaines. En cas de défaite, il faut immédiatement songer à repartir dans de nouvelles conditions. Certaines œuvres de reconstruction sont si profondes qu’elles apparaissent comme l’aurore d’ères nouvelles, comme le démontre le cas de la Prusse après Iéna. Parfois, il faut réconcilier. Cela s’impose à l’issue des guerres ou discordes civiles. L’oubli ne paraît pas toujours disponible, tout au plus peut-on modérer les épurations, comme l’ont fait les autorités françaises à l’égard des officiers de leur propre armée après 1945. L’intérêt de cet ouvrage est qu’il offre un vaste panorama de ces « sorties de guerre », les unes situées avant la Première Guerre mondiale (guerre de Cent Ans, guerres coloniales africaines, l’après de la Grande Guerre perçu sous des angles divers : mutineries de 1917, réfugiés français…). L’expérience de la Seconde Guerre mondiale est également abondamment illustrée : Libération et retour des réfugiés, la France et l’occupation de l’Allemagne, épurations et dégagement des cadres. Les guerres coloniales et postcoloniales sont largement étudiées : Indochine, Algérie.
On le voit, le panorama étudié est fort large, bien que presque exclusivement français, à l’exception d’études ponctuelles portant sur les vétérans américains du Vietnam. Il est dommage que les nombreux conflits plus actuels n’aient pas été étudiés. Est-ce faute de recul, de ressources documentaires, de témoignages crédibles ? Saluons l’étude en fin de volume de Michèle Battesti, portant sur les blessures psychiques de guerre à travers l’histoire. L’histoire du siècle a incité certains à conclure que les blessures psychiques étaient une spécificité des guerres modernes de l’ère industrielle où les soldats sont fragilisés par la violence des combats, leur intensité et leur durée jusqu’à atteindre leur point de rupture. Les soldats d’antan, plus frustes, plus rudes, plus engagés dans des combats de plus courte durée, auraient été plus endurants au feu, d’un stoïcisme à toute épreuve et d’un courage granitique. Or, l’homme physiologiquement et psychiquement est le même depuis des millénaires. Les traumatismes psychiques sont aussi vieux que la guerre. La peur, le stress et la folie ont toujours hanté les champs de bataille. Le stress des combats génère en effet de manière obligatoire une réaction biologique et psychologique dont les répercussions peuvent être délétères pour la santé des combattants, ainsi que sur leur performance et la sécurité des actions dans lesquelles ils sont engagés. Depuis plusieurs années, historiens, psychiatres, militaires, psychologues et psychanalystes réinterrogent les récits de batailles de jadis, les mythes, la littérature offrant une nouvelle grille de lecture pour identifier rétrospectivement des situations comparables à la période actuelle, ce qui revient à reconnaître des mécanismes non identifiés ou incompris par les contemporains des faits sans commettre pour autant d’anachronisme. ♦