Le lien Armée-Nation incarné par le service militaire et les épreuves des guerres a pâti de sa suspension en 1996. Il convient de le revoir alors que les menaces s’accroissent, y compris sur notre territoire. Les Réserves rénovées pourraient ainsi contribuer à renforcer l’indispensable relation entre les citoyens et leurs forces armées.
Les citoyens et leurs interactions avec le monde militaire au XXIe siècle
Citizens and Their Interactions with the Military World in the 21st Century
The Army-Nation relationship personified by military service and the trials of war has suffered from its suspension in 1996. It is necessary to review this relationship while threats increase, including on our territory. The renovated Reserves could thus contribute to the reinforcement of the indispensable relation between citizens and their armed forces.
Renouveler le lien Armée-Nation est devenu une nécessité dans un contexte d’incertitude croissante où la menace terroriste se fait plus prégnante. Durant près de deux siècles, la République fut érigée et défendue par une armée de conscription, l’histoire de la Nation n’étant qu’une succession de batailles, où le sang versé et les sacrifices consentis par les Français furent justifiés par les valeurs républicaines et le désir de construire un espace de stabilité. Le modèle de la conscription, permettant de lever la patrie en armes, fut institué par la loi Jourdan (1798) disposant en son article premier : « Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ». La France fut faite à coups d’épée, comme le soulignait le général de Gaulle. Mais force est de constater que ce lien privilégié entre l’armée et les Français s’est distendu depuis la suspension du service national. Les alternatives permettant de pérenniser cette relation sont méconnues et n’ont que peu d’échos face à une génération pour qui l’interaction avec le monde militaire se limite au défilé du 14 juillet et à une journée de sensibilisation. En outre, le financement des armées est un objet de dissension récurrent et de débat pour l’opinion publique en ces temps de morosité économique. Toutefois, les récentes attaques au cœur de notre territoire ont ébranlé les consciences face à la réalité et à l’imminence de la menace terroriste. La nécessité de repenser l’articulation entre le monde de la défense et les citoyens en vue de renforcer et d’accroître les inter-actions et synergies n’en est que plus perceptible.
Le contexte géostratégique, à la fin du XXe siècle, est marqué par la fin de la guerre froide et par l’intervention sous l’égide de l’ONU dans la guerre du Golfe. Le Livre blanc sur la Défense publié en 1994 prend en compte ces évolutions et souligne que « pour la première fois de son histoire, la France ne connaît plus de menace militaire directe à proximité de ses frontières ». En effet, la fin de la guerre froide et la création de la Communauté européenne puis de l’Union européenne ont mis fin à l’état de guerre permanent en Europe. Le combat symétrique et les grandes armées de masse constituées n’ont dès lors plus de raison d’être. La conscription apparaît comme un anachronisme, vestige de deux guerres mondiales, dans un espace économique où l’interdépendance met fin ou rend de fait difficile tout conflit physique. De surcroît, le France a garanti son indépendance stratégique en s’appuyant sur l’arme nucléaire et en érigeant sa doctrine de dissuasion autour de la réponse du faible au fort. L’assurance-vie conférée par l’atome ne justifiait plus la présence de bataillons massifs pour protéger les frontières de l’hexagone. La France est dès lors prête à s’engager dans la professionnalisation de son armée, emboîtant le pas à la Belgique (1992) et aux Pays-Bas (1993).
Le choix de la professionnalisation des armées annoncé par le président Jacques Chirac le 22 février 1996 s’inscrit dans ce contexte et est justifié par des impératifs d’efficacité et de flexibilité. La professionnalisation apparaît alors adaptée aux défis contemporains en employant du personnel apte à utiliser des systèmes d’armes complexes dans des théâtres d’opérations éloignés nécessitant une forte réactivité et un entraînement continu. L’absence de soldats issus du contingent lors de la guerre du Golfe a renforcé cette orientation. D’autant plus que le choix de la professionnalisation avait pour corollaire une diminution des dépenses affectées jusqu’alors au service national (casernements, formations). Enfin, le service militaire tel qu’il était ne répondait plus aux aspirations des jeunes générations, dont l’évolution des modes de vie les rendait peu enclins à sacrifier du temps au service national. Celui-ci était perçu de moins en moins comme un rituel de passage à l’âge adulte mais plutôt comme une corvée. On constatait aussi beaucoup d’exemptions à cette obligation et en particulier à sa forme militaire. La loi du 28 octobre 1997 a ainsi suspendu le service national obligatoire sine die pour les générations nées après le 31 décembre 1978 et mis en œuvre la professionnalisation des armées. Le format des armées en a été réduit considérablement passant de 499 000 militaires en 1996 à 209 000 en 2014, soit une réduction de 58 % des effectifs en dix-huit ans. La fin du contingent a également privé les armées de leur source privilégiée de recrutement. Parallèlement, le budget de la défense a fait l’objet de nombreux arbitrages budgétaires en sa défaveur, même si celui-ci a été sanctuarisé par le Livre blanc sur la Défense de 2013 à 1,5 % du PIB (hors pensions).
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