On voit se développer de nos jours une violente polémique pour rétablir un enseignement de l'histoire, négligé ou oublié. Est-on sur que la géographie soit mieux traitée ? La géostratégie et la géopolitique ont été compromises dans beaucoup d'esprits par les excès de leurs protagonistes anglo-saxons et allemands, et surtout par l'emploi qu’en a fait le nazisme. Pourtant elles ont leur part de vérité quand elles restent dans une sage modération, suivant les enseignements de l'école géographique française dont Vidal de Lablache a été le protagoniste et l'amiral Castex le meilleur utilisateur. La situation stratégique mondiale de notre époque ne peut s'expliquer qu'en prenant en considération un certain nombre de données géographiques. C'est le travail auquel s'est livré l'auteur.
Géographie et stratégie - « Tout pays a l’histoire de sa géographie »
Au cours des dernières décennies, au-delà de quelques brillantes exceptions, la géostratégie représentait en France une discipline moribonde. La quasi-totalité des programmes scolaires et universitaires, la quasi-totalité des manuels, étaient étrangement discrets sur ce chapitre. L’aluminium, le pétrole, la pêche hauturière ou les espadrilles de la haute vallée de l’Aude faisaient les délices des manuels de géographie. Le fusil, le canon, les rapports de force militaire, les aléas géopolitiques, a fortiori les bouleversements introduits par l’avènement du nucléaire, étaient systématiquement ignorés.
Ceci n’est pas le moindre des paradoxes de notre temps qui, pourtant, se caractérise simultanément par une amélioration surprenante de notre connaissance de l’environnement géographique, corollaire direct des progrès scientifiques et technologiques, et par la multiplication des conflits locaux et régionaux de la planète. Cette multiplication se traduit aujourd’hui par la naissance de véritables typologies de conflits. En ce domaine, en dépit de simplifications indéniables, la plus séduisante nous paraît être celle de G. Bouthoul et R. Carrère, proposée par leur « Défi de la guerre » : des conflits interétatiques (de type « classique »), illustrés en particulier par les épisodes coréen, indien ou les conflagrations successives du Moyen-Orient ; des conflits coloniaux, agitant particulièrement le Vietnam, les Afriques francophone et anglophone ; des conflits intra-étatiques enfin, tragiquement représentés par le Ruanda, le Burundi, l’Indonésie, le Biafra ou le Bangladesh. Le bilan en la matière est éloquent : de 1945 à 1975, par exemple, on a pu recenser 75 conflits de « premier ordre », faisant quelque 12 millions de morts, un rythme annuel de l’ordre de 360 000 pertes.
La conduite de la guerre a toujours tenu le plus grand compte des réalités physiques, orographiques, hydrographiques, climatiques, des théâtres d’opérations. D’Alexandre au Vietnamien Giap, en passant par César, Richelieu (père de la notion de « frontière naturelle »), Vauban (notre premier stratège-géographe, formalisant sa réflexion à travers de véritables analyses de géographie régionale), Frédéric le Grand, Montesquieu ou Bismarck, partisans farouches du déterminisme physique, les exemples ne manquent pas. Parmi les auteurs qui, de près ou de loin, ont été amenés à s’interroger sur ce problème, seuls, à notre connaissance, Machiavel, Karl Marx et De Gaulle ignorent tout de la dimension spatiale du phénomène.
Il reste 91 % de l'article à lire
Plan de l'article