Parler politique en Chine - Les intellectuels chinois pour ou contre la démocratie
Parler politique en Chine - Les intellectuels chinois pour ou contre la démocratie
S’il convient de commencer par une citation propre à résumer commodément ce qu’on découvre dans ce livre, on pourra prendre la suivante (p. 277) : « Peut-on parler de liberté de conscience et de pensée en Chine ? Oui, mais la liberté académique demeure relative, et la liberté de publication limitée car les recherches et l’engagement des universitaires chinois sont encore bridés par le Parti et la résilience des phénomènes de censure. Les chercheurs souhaitent infléchir les décisions politiques, sans que cela signifie qu’ils soient simplement inféodés au pouvoir, auquel ils sont toujours associés d’une façon ou d’une autre. Il existe en Chine un véritable marché des idées : la nature technocratique et pragmatique du régime chinois et la grande diversité des points de vue au sein des équipes politiques rendent possibles l’expression de critiques et de suggestions, et l’expérimentation à différentes échelles de propositions de réformes, notamment institutionnelles ».
L’ouvrage étudie la condition des chercheurs de science politique et leurs degrés de liberté, les réseaux qui se sont constitués depuis la Révolution culturelle et auxquels ils ont pris part, la résonance que reçoivent leurs idées, le véritable besoin d’intellectuels qui existe pour une partie des politiciens en Chine, et il essaye de voir si, il émane des idées, une conception du « bon régime ». Le travail accompli nous remémore à quel point l’intérêt des Chinois pour le bon gouvernement les rapproche des Français. L’auteur a examiné plus d’une vingtaine d’intellectuels chinois faisant partie de ceux aux idées de qui le Parti et le gouvernement sont régulièrement attentifs. De leur côté, les dirigeants politiques en Chine paraissent avoir opté pour la stratégie de leur laisser la liberté d’expression, laquelle a le mérite de provoquer le plus d’observations de la part de la communauté internationale sur les mesures qu’ils prennent et corrélativement d’installer un délai de révision durant lequel reconsidérer ce qui est le mieux pour le pays est encore possible.
Incidemment, empruntons à Paul Stouder, de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG), le résumé qu’il a fait des grandes tendances de ces intellectuels : « Les libéraux rejettent en bloc l’héritage révolutionnaire en raison de ses dérives totalitaires ; ils semblent résignés à une ‘‘démocratie négative’’ pensée comme un régime protecteur des libertés, comme une méthode mais non comme une valeur. Les néo-conservateurs préconisent de retarder la démocratisation tant que l’économie et la société chinoises n’ont pas atteint un stade de développement suffisant. Ils se rapprochent d’un régime méritocratique qui pourrait mêler autoritarisme politique, économie de marché, corporatisme et État-providence. La nouvelle gauche souhaite qu’on ouvre la définition de la démocratie à toute réforme visant à accroître ‘‘l’égalité réelle’’ et les possibilités de participation politique des citoyens, y compris l’utilisation des sondages d’opinion. Au total, l’étude (faite par Frankiel) montre l’importance de l’élitisme au sein des intellectuels qui, à cet égard, ne se différencient guère des élites politiques et économiques ».
Mais où est le bon gouvernement ? Ceux-là ne s’accordent pas tous entre eux quand ils en viennent à l’évoquer. Il y a cependant quelques phrases de l’auteur à retenir : « De Chine, il semble moins urgent de débattre sur la nécessité d’élire les dirigeants que de définir ce que l’on peut attendre du gouvernement, les grandes valeurs qu’il doit défendre » ; laquelle considération se combine en général avec : « La cooptation, la qualité de l’écoute, la réactivité des autorités sont autant d’éléments mis en avant pour légitimer le maintien du Parti unique et pour retarder une démocratisation rapide du régime » (p. 283) ; et puis, ce qui explique cela : « L’idée que la majorité des Chinois ne connaissent pas leurs propres intérêts et ne sont pas encore prêts à élire leurs dirigeants […] est particulièrement prégnante » (p. 281).
La grande majorité des chercheurs, sauf les confucéens, paraissent être « gradualistes ». L’auteur en dit : « Les chercheurs et les gouvernements locaux misent sur des innovations institutionnelles pour se rapprocher pas à pas de l’idéal de participation politique du régime démocratique libéral » ; mais la conception d’un plus ambitieux système politique trouve très bien à se faire exposer en Chine, par exemple : « Yu Keping peut être considéré comme le plus observé des théoriciens chinois de la démocratie aux couleurs de la Chine. Il est l’auteur de l’article paru en décembre 2006, ‘‘La démocratie est une bonne chose’’ dans lequel il se distingue par sa défense de la démocratie non pas pour des raisons utilitaristes mais en termes de valeurs » (p. 221). ♦