Le nassérisme après la sécession de la Syrie
Devant la crise syrienne, le Président de la République Arabe Unie, Gamal Abdel Nasser, a tardé plus qu’à l’accoutumée à trouver la riposte. D’emblée, à l’instigation peut-être du Maréchal Abdelhakim Amer, il a négligé l’occasion, un instant offerte par les insurgés syriens eux-mêmes, d’un règlement transactionnel ; sans doute, à la fois, lui répugnait-il de perdre la face devant l’émeute, et lui paraissait-il imprudent d’abandonner la moindre parcelle d’une autorité centralisatrice dont les excès évidents, cependant, paraissent en grande partie responsables de ses actuels déboires. De plus, il avait certainement sous-estimé l’ampleur et la détermination du mouvement rebelle, et il conservait des illusions sur le concours qu’il pouvait attendre des cadres égyptiens placés aux leviers de commande de la « Province Septentrionale » et de la « Première Armée ». D’où sa tentative de recours à la force, qui se traduisait par l’appareillage de navires de guerre à destination de la côte syrienne et par le largage de quelques parachutistes sur Lattaquié.
Puis, soudain persuadé que les moyens dont il disposait ne lui permettraient pas de reprendre, par la violence, le contrôle de la Syrie, il se ravisait ; et, interrompant les opérations en cours, il masquait sa retraite en affirmant qu’il n’entendait pas faire couler le sang arabe. Il avait en effet discerné, de façon un peu plus claire, les mobiles et le caractère du mouvement, dirigé contre la centralisation du Caire et nullement contre l’idée même de l’unité arabe, et soutenu dès lors par l’ensemble de l’opinion syrienne, y compris les tenants les plus sincères de l’arabisme unitaire. Sans doute fallait-il admettre qu’à Damas et à Alep, on interprétait cet arabisme d’une autre façon qu’au Caire. Mais ne pouvait-on espérer que la persistance de ce sentiment arabe, dans un pays que l’on supposait appelé à revenir à ses divisions traditionnelles et à ses classiques luttes de partis, ne tarderait pas à fournir de nouvelles occasions d’interventions et de manœuvre ? Il n’était donc que de savoir attendre, position cependant difficile à tenir en présence d’une opinion égyptienne exaltée, et qui comportait pour Nasser le sérieux risque moral d’apparaître, fût-ce passagèrement et inexactement, sous les traits d’un vaincu résigné.
Nasser n’a pas cru pouvoir demeurer longtemps dans cette attitude. Il a considéré que si l’ensemble de l’opinion syrienne acclamait la sécession, ses principaux acteurs et les dirigeants du gouvernement provisoire de Damas se trouvaient être des notables modérés et conservateurs. Il s’est souvenu que la Révolution égyptienne de 1952 s’était faite contre cette même classe, qui tenait alors le pouvoir au Caire, et qu’à diverses reprises il avait dû ensuite, pour assurer le lancement de ses tentatives de réformes économiques et sociales, sévir de nouveau contre elle. Sans doute, au cours de ces derniers mois, avait-il relâché sa pression à l’encontre des conservateurs, des possédants et des intégristes religieux, libérant même certains d’entre eux ; parallèlement, il avait aussi éprouvé quelques difficultés de la part des paysans, toujours misérables en dépit des lois agraires, et des ouvriers, déçus par l’inexécution de ses propres promesses concernant la diminution de la durée du travail. Mais, s’il proclamait que « la réaction » portait la responsabilité de la crise syrienne, d’une part il ménageait les libéraux et progressistes syriens, en vue de quelque manœuvre ultérieure à leur égard, et d’autre part il se mettait en mesure de frapper, à défaut des coupables syriens, hors de son atteinte, leurs homologues égyptiens.
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