Le passage mondial de l’industrie de défense terrestre a considérablement évolué avec l’arrivée de nouveaux compétiteurs moins contraints par les règles européennes. Cela oblige nos industriels à poursuivre leurs efforts d’adaptation en s’appuyant sur l’innovation technologique et la compétitivité économique.
L’industrie de défense dans le domaine terrestre
The Industry of Defense in the Terrestrial Sector
The global passage of terrestrial defense industry has developed considerably with the arrival of new competitors that are less constrained by European rules. This requires our industry to continue its efforts in adaptation based on technology innovation and economic competitiveness.
Par cette sentence quasi définitive, « Industrial war no longer exists » (1), dès l’introduction de son ouvrage The Utility of Force paru en 2005, le général Rupert Smith, qui avait entre autres exercé le commandement de la première division blindée britannique lors de la première guerre du Golfe, puis de la Force de protection des Nations unies (Forpronu) lors de la guerre de Bosnie, également ancien commandant en second des forces alliées de l’Otan en Europe, visait la disparition du combat à outrance entre États disposant d’une puissance industrielle pour soutenir leur effort de guerre, paradigme dominant des grands conflits depuis le milieu du XIXe siècle. Si le but n’est pas ici de disserter sur un changement des pratiques dans la conduite des opérations militaires, il est légitime de s’interroger sur la « guerre » qui se livre bel et bien entre les industriels de défense qui assurent l’équipement des armées de terre : sur un théâtre mondialisé, sans conflit global, mais qui n’exclut pas la persistance de vifs affrontements régionaux, quelles sont les forces industrielles en présence dans le domaine terrestre (2), comment manœuvrent-elles, au gré d’alliances ou de prises de contrôles, à la poursuite de quels objectifs ? Cette lecture de la situation industrielle dans le domaine terrestre doit permettre de dégager quelques lignes d’action pour l’industrie de défense terrestre occidentale, et en particulier française.
Les pays les plus développés, où est née l’industrie de défense historique, vivent largement en état de paix : depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et de ses fortes secousses de réplique qu’ont été les guerres d’indépendance dans les anciens empires coloniaux, les pays occidentaux n’ont plus connu la guerre dans son acception la plus totale, traditionnelle depuis Clausewitz, qui touche aussi indistinctement la société civile (3). A contrario, les conflits armés ont fait le plus de victimes en Afrique et en Asie centrale et du Sud-Est, et les opérations extérieures de stabilisation dans ces régions du monde ont confirmé l’importance des forces terrestres dans ces interventions, et par extension, de la base industrielle qui les équipe. Mais dans le monde occidental, dans le mouvement qui a suivi l’effondrement du mur de Berlin, forte a été la tentation de miser sur la fin de la guerre froide, de la logique de monde bipolaire où seul l’équilibre de la terreur évitait un nouvel embrasement, et de toucher les « dividendes de la paix » alors même que l’économie occidentale perdait de son dynamisme. L’industrie de défense, développée principalement aux États-Unis, en Europe et dans le bloc soviétique pour l’effort de guerre du second conflit mondial, puis dimensionnée pendant des décennies par une course aux armements de plus en plus performants et sophistiqués, répondant aux besoins des pays d’origine, mais trouvant aussi des débouchés dans une zone de tension périphérique s’étendant de la Méditerranée à la mer de Chine, s’est trouvée confrontée à une évolution du contexte. D’un côté, l’amoindrissement des besoins dans les pays industrialisés, qui s’est traduit par une baisse généralisée de leurs budgets de défense (4), de l’autre, l’affirmation par les pays émergents de vouloir compter sur la scène internationale, s’est exprimée notamment dans un développement comme puissance militaire, avec une forte revendication d’autonomie concernant l’industrie de défense, donc par des demandes accrues de transfert de technologie.
Avant d’examiner plus particulièrement l’industrie de défense terrestre française, tâchons de dégager à grands traits comment l’offre mondiale s’est alors adaptée. Un premier ensemble est constitué par les industriels nord-américains. Sans surprise, les grands groupes nord-américains, taillés pour répondre à un marché intérieur terrestre qui soutient une forte demande, comptent parmi les principaux acteurs industriels mondiaux du domaine. Répondant prioritairement à leur client domestique, ils peuvent cependant être amenés à chasser des marchés à l’export (5), essentiellement sous couvert de leurs filiales étrangères (on ne parlera pas des pratiques consistant à laisser sur place des volumes d’équipements très significatifs lors d’un retrait, ce qui constitue une forme d’exportation…). À la faveur des regroupements qui ont été opérés depuis quelques décennies, on retrouve en première place un industriel connu surtout pour ses réalisations aéronautiques, mais qui a aussi acquis des compétences dans les systèmes terrestres – notamment par le rachat des divisions défense de Chrysler dès 1982 puis de General Motors en 2003 : General Dynamics, fournisseur du char M1 Abrams, mais aussi des véhicules de combat d’infanterie Stryker ou Piranha par l’intermédiaire de sa filiale Mowag. Les autres grands fournisseurs nord-américains sont Textron (producteur du M1117 Guardian, et du Tactical Armoured Patrol Vehicle pour les forces canadiennes, mais également de tourelles), Oshkosh (producteur historique de véhicules logistiques, puis du MRAP-ATV, et désormais vainqueur de la compétition pour remplacer la flotte de Humvees). Il convient de ne pas oublier la position dominante d’Alliant Techsystems (ATK) pour la fourniture de munitions de tout calibre, et actuel fabricant du canon automatique Bushmaster, dont les différentes versions équipent de nombreuses armées de par le monde.
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