Introduction–The Many Africas: Crisis Management and Conflict Resolution in Sub-Saharan Africa
Introduction – « Des Afriques » : gestion de crises et résolution des conflits en Afrique subsaharienne
Plus que n’importe quelle autre partie du globe, après la guerre froide, le continent africain a été associé aux conflits et à l’insécurité. Au début des années 1990, Robert Kaplan invoquait, dans une formule restée célèbre, « the coming anarchy » (1). Pour l’auteur américain, le continent était alors celui des haines ethniques et de la violence aveugle. Vingt ans plus tard, le gagnant du prix Pulitzer, Jeffrey Gettleman, peignait le même tableau, se désespérant que les guerres ne terminent jamais et s’étendent, comme pour reprendre ses termes, « une pandémie virale ». Aujourd’hui, l’insécurité et les conflits sur le continent occupent une place centrale dans les cercles politiques, les travaux des chercheurs et le travail des forces de sécurité. Bien que la situation se soit transformée et que les statistiques s’entendent sur une baisse tendancielle du nombre de conflits, d’anciennes grilles d’analyses continuent de guider certains commentaires et analyses.
L’objectif de ce numéro de la Revue Défense Nationale répond à cette vision encore ancrée dans l’imaginaire collectif. Il vise à contester les approches populaires qui réduisent la complexité des situations conflictuelles sur le continent à des facteurs uniques et trop souvent essentialistes. Parmi ces facteurs les plus communs invoqués, on retrouve le colonialisme, la religion, l’ethnicité et les ressources naturelles. Or, la rigueur intellectuelle et une démarche méthodologique permettent d’éviter les biais de confirmation – au sens d’interpréter les faits pour leur faire dire ce que l’on souhaite, ou les biais de sélection, en ne choisissant que les faits qui appuient une thèse définie a priori. Avant d’expliquer pourquoi ces facteurs ne sont pas suffisants pour expliquer les conflits sur le continent, essayons tout d’abord de peindre à grands traits l’évolution de la conflictualité sur le continent depuis la fin de la guerre froide.
Pendant la guerre froide, les politiques à l’égard du continent étaient guidées par des considérations liées à l’opposition entre les deux blocs. L’Est et l’Ouest supportaient des régimes afin de s’assurer le maintien d’une sphère d’influence. Les États-Unis, l’Union soviétique et leurs alliés respectifs étaient des sources de financement à la fois de groupes insurrectionnels et d’États. Les armes, les entraînements militaires, les soutiens diplomatiques dépendaient de cette lutte pour dominer et influencer. Certains régimes autoritaires furent maintenus au pouvoir parce qu’ils avaient une fonction spécifique dans cette lutte globale, comme pare-feu face au communisme. Le plus connu fut Mobutu au Zaïre. D’autres sont tombés après des coups d’États soutenus ou encouragés par les puissances extérieures. Avec la fin de la guerre froide, le continent a perdu de sa valeur stratégique. Samuel Decalo dira même : « Les États africains passèrent de pions stratégiques pendant la guerre froide à d’“irrelevant clutter” ». Progressivement, dans les années 1990, les États-Unis, et ce qu’il reste de l’Union soviétique, se désengagent du continent. Les premiers réduisent ou interrompent totalement leur aide militaire aux alliés les plus anciens : Kenya, Somalie, Liberia, Tchad, Zaïre. Les missions humanitaires américaines et les postes de renseignement se ferment, et le personnel est redirigé vers de nouvelles zones prioritaires notamment en Europe de l’Est. Les États qui survivaient en partie grâce à ces soutiens extérieurs deviennent plus vulnérables aux insurrections populaires et aux guerres civiles. Les événements au Liberia avec Samuel Doe, au Zaïre avec Mobutu, en Somalie et en Éthiopie doivent être appréhendés dans ce contexte. Ils n’ont plus le statut de clients dans un monde bipolaire. Cette perte de la rente stratégique coïncide parfois, en plus, avec une crise économique et des pressions de plus en plus fortes pour démocratiser. Les donateurs redirigent leurs aides en fonction des efforts faits en termes de gouvernance. De plus, l’aide au développement chute de 21 % entre 1990 et 1996 (2). Les réseaux de clientélisme s’effondrent, tout comme certaines coalitions au pouvoir qui se divisent. Dans ce contexte, le nombre de conflits et l’insécurité augmentent. En parallèle, les outils analytiques font aussi évoluer comme nous allons le voir.
Il reste 75 % de l'article à lire