La création des armées postcoloniales a été complexe et fragile avec des approches différentes d’un pays à l’autre et un questionnement sur le rôle de ces forces au sein des États, entre actions policières de sécurité, politique et militaire. Les progrès actuels montrent une prise en compte progressive de cette histoire souvent partagée.
Les forces armées et de sécurité dans les États postcoloniaux du Sahara ouest-africain
The armed and security forces in post-colonial West Africa Saharan states
Francophone Sahel-Saharan states have been confronted for several decades with many challenges in assuming their sovereignty. The armed forces, sometimes believed unreformable, warrant a more in-depth look at their history: they owe much to the reforms carried out during the late colonial period and the decisions made when the national armed corps were created.
Les États sahélo-sahariens francophones sont confrontés depuis plusieurs décennies à de multiples difficultés pour assumer leur souveraineté sur des territoires immenses et désertiques, y faire régner la sécurité et maintenir le contact avec leurs populations par l’intermédiaire des corps armés. Les rares analyses comparatives disponibles sur les forces armées et de sécurité contemporaines de ces États, effectuées dans le cadre de l’appui international au maintien de la paix, posent deux constats essentiels (Bagayoko, 2010) : les armées des pays africains francophones sont trop impliquées dans la gestion de l’ordre public, en d’autres termes il y a un brouillage des fonctions de gestion de la sécurité intérieure et extérieure ; les gardes nationales, corps inexistant dans les pays d’Afrique anglophone, sont particulièrement utiles par leur forte décentralisation et la variété de leurs missions, ainsi que par leur capacité à se muer en force d’intervention offensive – de plus, c’est en leur sein qu’ont été opérées avec le plus de succès les intégrations d’anciennes rébellions sahariennes (Mali, Niger).
Ces forces de l’ordre mériteraient qu’on observe de plus près leur histoire, très marquée par les réformes menées pendant la période coloniale tardive et par les décisions prises lors de la création des corps armés nationaux.
La Mauritanie, le Mali, le Niger et le Tchad partagent un héritage commun lié à l’hypertrophie de l’infanterie coloniale dans leur organisation militaire, politique et administrative, en particulier dans les circonscriptions sahariennes et ce, jusqu’à une période très avancée de leur histoire commune avec la France. Ces pays partagent également l’histoire du corps des gardes-cercle, autre institution primordiale de « l’ordre colonial », ainsi qu’un paysage fourni d’unités méharistes « nomades », qui oblige à dépasser l’habituelle dichotomie forces de défense/forces de police. La faiblesse de la police civile, l’apparition tardive de la gendarmerie, la multiplication des réformes et les vives discussions entre autorités administratives et militaires, tout au long des années 1950, expliquent la difficulté à définir clairement le rôle et l’organisation des différents corps. À cela s’ajoute les pratiques différenciées de conscription ou de recrutement, en fonction des populations, et, surtout, entre « Afrique noire et Afrique blanche », véritables leitmotive pour les militaires coloniaux. Au moment de la création des institutions nationales, les problèmes sont intensifiés par l’immense retard pris pour la formation des cadres africains. À la difficulté de définition des missions – entre armée de terre, gendarmerie et garde – s’ajoute la question de la cohésion nationale dans les unités, du respect de la hiérarchie et de la valorisation des cadres intermédiaires.
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