Les opérations Serval et Sangaris conduites par les mêmes unités obéissent à des logiques différentes mais complémentaires. L’expérience de deux théâtres constitue un atout essentiel et s’appuie sur la qualité de nos unités, mais aussi sur l’importance de la bonne appréciation de la mission à conduire.
Témoignage : Serval 3 et Sangaris 3, regards croisés sur deux expériences opérationnelles
Serval 3 and Sangaris 3: a comparative analysis of two personal experiences in operations
The Serval and Sangaris operations conducted by the same units follow two different, though complementary, rationales. The experience of the two theatres is a key advantage and relies on the quality of our units, but also the importance of a good assessment of the mission to be carried out.
Ce texte est un témoignage, avec tout ce que ce genre suppose. Marqué par le temps et l’espace qui cadrent chacune des expériences opérationnelles ici décrites, il est d’abord un point de vue personnel, choisissant sciemment d’adopter une grille tactico-opérative. Pas de considérations politiques ou de jugement sur la pertinence de tel ou tel objectif dans un contexte historique plus large, mais l’analyse d’un praticien de l’art de la guerre. Chef de corps du 3e régiment d’infanterie de Marine de l’été 2013 à l’été 2015, il m’a en effet été donné l’opportunité pendant ce temps de commandement de prendre la tête, à deux reprises, d’un groupement tactique interarmes (GTIA), donc d’un bataillon déployé en opération extérieure (Opex). À la tête de Korrigan II de septembre 2013 à janvier 2014 au Mali dans le cadre de l’opération Serval, j’ai ensuite d’octobre 2014 à février 2015 commandé le groupement Korrigan III lors de l’opération Sangaris en République centrafricaine (1). Deux expériences qui succinctement présentées – même continent, même créneau, même groupement – peuvent à première vue sembler similaires au néophyte, sinon procéder d’une même logique de déploiement et qui pourtant s’avèrent avoir été profondément différentes. Aussi, plutôt que de les présenter successivement en les décrivant par le menu, il m’a semblé plus judicieux – et certainement moins pénible pour le lecteur – de chercher à les éclairer l’une l’autre, pour – par effets de contrastes – en souligner peut-être quelques similitudes et certainement les différences. Autant le format attendu pour cet exercice que la nécessaire discrétion à conserver sur le détail d’opérations toujours en cours, qu’il s’agisse de la Centrafrique ou de la bande sahélo-saharienne (sous le nom d’opération Barkhane), militent en outre pour un texte proposant quelques enseignements tactico-opératifs à caractère général mais propices à susciter la réflexion.
Ce dernier est conçu comme un tissage (un « complexus ») : trois dimensions essentielles lui serviront de trame horizontale (I, II, III) avec, comme fils conducteurs verticaux, trois principes fondamentaux de l’Art de la guerre (A, B, C). Pour les premières, nous retiendrons que toute opération est d’abord contrainte par un environnement physique (I), s’inscrit dans un milieu humain au sein duquel l’adversaire est, sinon le paramètre central (la population peut l’être), par essence le plus problématique (II), et qu’elle suppose d’enchaîner des actions pour arriver à un objectif (III). L’interaction de ces trois dimensions est au cœur de la réflexion du commandant de l’opération, lequel cherche, pour être efficace, à préserver sa liberté d’action (A), à concentrer ses efforts (B) et à économiser ses moyens (C).
Enfin, dernier aspect liminaire, soulignons que le « groupement tactique interarmes » est déjà le produit d’une réflexion a priori, précédant l’engagement, sur les conditions propres à la mission. Constitué à partir d’un corps « source » qui lui fournit sa masse critique, donc autant sa dominante (infanterie ou blindée) que son identité profonde, il agrège l’ensemble des compétences jugées indispensables à la réussite de la mission. À l’instar des corps de métiers sollicités pour construire une maison, sont ainsi regroupées autour d’une compétence « majeure » (maçon ou charpentier selon la nature de l’habitation), des « mineures », sans que ce mot n’ait rien de péjoratif. Ce que nos anciens appelaient « bataillon de marche », est aujourd’hui une « task force » – pour reprendre la terminologie américaine – spécifiquement « taillée » pour s’engager dans un contexte particulier.
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