Civil War (July 1977)
La guerre civile (juillet 1977)
Il existe plusieurs façons de conjurer la peur. La première, instinctive et primaire, consiste à se boucher carrément les yeux pour ne pas voir la réalité qui vous effraye. La méthode est aussi efficace sur le champ qu’inopérante à terme, car on peut difficilement prendre le risque d’affronter un danger avec les yeux bandés. L’autre méthode, plus subtile et plus répandue, consiste à exorciser le péril en déguisant les faits qui nous inquiètent sous le voile protecteur des mots et des concepts.
Ainsi avons-nous fait de la guerre civile, dont nous préférons cacher la véritable nature en la banalisant, en la réduisant en formules, en la recouvrant sous les chiffres. Il existe en effet plusieurs manières de nous rassurer face à la prolifération des conflits internes.
La première échappatoire consiste dans le recours à une typologie dualiste qui considère, sans autre forme d’examen, la guerre civile et la guerre internationale comme les deux volets du même tableau. Sur un fond permanent de violence et d’agressivité, caractères irréductibles de la nature humaine, il y aurait des manifestations conflictuelles qui ne se distingueraient les unes des autres que par le théâtre des opérations et par l’identité des protagonistes. Dans un cas, ce sont des armées régulières qui s’affrontent pour la gloire ou pour la défense de la patrie. Les combats qui les opposent se déroulent toujours, au moins pour l’une des parties, en territoire étranger. Dans l’autre cas, ce sont des ressortissants nationaux qui se battent entre eux à l’intérieur des frontières. Entre ces modèles simplifiés à l’extrême, il peut surgir des cas intermédiaires, que l’observation de la pratique vérifie couramment : certaines guerres civiles dégénèrent en guerres internationales quand des puissances étrangères s’en mêlent (Corée, Vietnam) ; certaines guerres internationales se prolongent ou se compliquent par des conflits internes (ainsi dans le cas des mouvements de résistance qui s’opposent à la fois à une occupation étrangère et aux ressortissants nationaux qui collaborent avec l’occupant). Mais si la frontière n’est pas toujours facile à tracer entre les deux formes de violence armée, on peut y voir la confirmation de l’unité du genre auquel appartiennent ces deux espèces de conflits. Plus que le théâtre des opérations ou la nationalité des combattants, ce qui compte en définitive, c’est l’universalité de la violence dans les rapports socio-politiques. La guerre civile ne présente pas, dans cette perspective, une spécificité suffisante pour retenir l’attention. Voilà une première façon de s’en débarrasser.
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