Le Président et la Bombe
Le Président et la Bombe
Le titre n’est pas nouveau. Il est parfaitement justifié. La stratégie nucléaire militaire se réduit en effet à un dialogue tragique entre deux acteurs : le Président… et la Bombe (1). Dès l’introduction, Guisnel et Tertrais mettent en scène la passation de code entre le Président sortant et son successeur. « Que peut-il se passer, disent-ils, dans la tête d’un Président investi de la plus lourde des responsabilités ? ». Pour nous permettre de l’imaginer, ils nous rappellent, avec la compétence de deux experts complémentaires, l’histoire de la Bombe, avant de nous livrer quelques « secrets ».
Le début de l’histoire ne doit pas être oublié. Il remonte à la IVe République et se heurta à l’hostilité des militaires, ce qui est compréhensible, et à celle des ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), ce qui l’est beaucoup moins. À ce stade initial, on relèvera un formidable témoignage de Pierre-Marie Gallois. Après l’entretien au cours duquel il venait de présenter son projet au chef de l’État, il commente : le Général avait tout compris, et beaucoup mieux que moi-même. Un détail au passage, mais qui avait échappé au modeste acteur que j’étais à l’époque : le quatrième essai de notre arme eut lieu au moment même du « putsch des généraux », en avril 1961 !
L’élaboration de notre « force de frappe » suscita un débat animé, dont Aron, Gallois et Poirier furent les protagonistes. Le débat portait sur deux points essentiels : la triade initiale (missiles sol-sol, avions, sous-marins), le rôle (subtil et donc discuté) de l’arme nucléaire « tactique ». Débat clos, les auteurs nous dessinent la « silhouette nucléaire » des quatre premiers Présidents concernés, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand et Chirac. On portera au crédit du premier qu’il tint à rencontrer personnellement les commandants des sous-marins lanceurs. Au crédit du deuxième, ce qu’en disent les auteurs, « l’homme qui n’aimait pas la Bombe » (2). Au crédit – ou au débit, c’est au choix – du troisième, l’opinion de l’amiral Lanxade l’estimant capable « d’appuyer sur le bouton ». Au crédit du quatrième, rien du tout, son discours de l’Île Longue en janvier 2006 étant – le mot convient – catastrophique. Quant aux deux derniers, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ils sont l’un et l’autre béotiens militaires. On peut juger le second rassurant en sa « normalité ».
Les « secrets » annoncés sont tels non pour les experts, mais pour le lecteur ordinaire. Ainsi du rôle éminent que tient le général chef de l’état-major particulier du Président, troisième personnage de l’État nucléaire. De la DGRIS, successeur du CPE. Du complexe de Valduc, où l’on fabrique le plutonium et enrichit l’uranium. De l’atmosphère monacale dans laquelle vivent les sous-mariniers. Du rituel impressionnant de la décision d’engagement nucléaire (une merveille d’intelligence, dit un ancien aide de camp). De l’ignorance où est laissé le commandant du sous-marin lanceur sur la nature des cibles de ses missiles.
L’ouvrage se termine, comme il convient, par les perspectives d’avenir. Le renoncement est ici évoqué, hypothèse sacrilège compte tenu du « consensus français » en la matière. Consensus ? Tu parles ! ♦
(1) NDLR : cet ouvrage a reçu le prix Brienne 2016 du livre géopolitique, le 21 septembre.
(2) Dans ses mémoires, l’ancien Président parle de ses réticences, révélant qu’il s’était promis de ne jamais tirer en premier, ce que l’on comprend, mais se réservant pourtant un tir « de vengeance », concept qui n’a aucune consistance stratégique.