La Turquie est dans une phase de transition majeure, politique et sociétale, accélérée par les conséquences de l’échec du putsch de l’été 2016, de la guerre en Irak et en Syrie, et des tensions avec les Kurdes. Le régime d’Erdogan affiche de nouvelles ambitions géopolitiques pour affirmer une puissance retrouvée.
La Turquie entre république et empire
Turkey Between Republic and Empire
Turkey is in a period of major political and societal transition, boosted by the failure of the putsch in the summer of 2016, the wars in Iraq and Syria and tensions with the Kurds. Erdogan’s regime quite clearly has new ambition to regain power and influence.
La tentative déjouée de coup d’État du 15 juillet, le conflit syrien mais aussi la multiplication des actes terroristes sur son sol constituent autant de signaux alarmants de la dégradation de la situation sécuritaire en Turquie. Celle-ci dépasse dorénavant en intensité les crises survenues dans ce pays au cours des dernières décennies du XXe siècle, illustrées par une succession de putschs et de difficultés économiques et sociales, qui faisaient douter de la survie du modèle kémaliste. Toujours est-il que le régime d’Ankara se trouve désormais confronté à de multiples enjeux. En d’autres termes, et indépendamment des contraintes de son environnement géopolitique immédiat, la Turquie, qui, après avoir été pendant sept siècles le pivot du monde musulman sunnite pour ensuite devenir une alliée de l’Occident, est-elle en train d’opérer un retour en arrière sur un passé pas si éloigné ?
Une puissance régionale de premier plan face à la crise du Levant
La vague d’attentats commis par Daesch et les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui ressortent de logiques entièrement différentes, frappe le pays tout entier depuis plusieurs mois. Elle entraîne des rafles, des arrestations, ainsi que la construction de murs de protection sur certains tronçons de la frontière avec la Syrie, remettant en cause l’image d’un pays qui s’est considérablement transformé. Après les années de marasme économique du post-kémalisme, marquées par la montée de l’islamisme et les terrorismes kurde et arménien, la décennie 2000 restera comme celle du décollage économique d’un pays qui triple son PIB et le nombre de ses universités, tout en exportant ses produits manufacturés du Moyen-Orient à l’Asie et l’Europe. La population est urbanisée à plus de 75 % et le taux de fécondité, proche de deux enfants par femme. Le dynamisme de Turkish Airlines rappelle celui des compagnies des émirats du Golfe et concurrence dorénavant les transporteurs européens. Pour autant, tous ces atouts ne doivent pas dissimuler que la Turquie, située à la charnière de l’Europe et de l’Asie, se situe aussi aux avant-postes de l’arc de crise du monde arabo-musulman.
Après l’interminable conflit irakien, la crise syrienne, qui perdure depuis plus de cinq années et a déjà fait 300 000 morts, tout en entraînant l’exode d’une partie de sa population, affecte en premier lieu la Turquie. Cette dernière a déjà accueilli près de 3 millions de réfugiés tandis que 650 000 personnes, venues du Proche-Orient et d’Asie centrale, ont transité par la Turquie avant de rejoindre les îles grecques ou la route ancestrale des Balkans pour se disséminer ensuite en Europe. L’accord migratoire du 18 mars 2016, conclu avec l’UE prévoit, moyennant une aide de 3 milliards d’euros assortie d’un engagement d’Ankara à mieux contrôler ses frontières et à réadmettre sur son territoire les déboutés du droit d’asile. En contrepartie, l’obtention de visas vers l’Europe doit être facilitée pour ses propres ressortissants à partir de l’automne 2016. Cet accord doit se traduire aussi par l’ouverture, à partir du 14 décembre de cette année, des négociations d’adhésion à l’UE, formellement commencées en 2005 mais interrompues en 2009. Celles-ci s’annoncent difficiles et ne devraient porter que sur le chapitre économie et finances, et non sur ceux consacrés à la justice et aux libertés publiques qui sont toujours bloqués par Chypre, dont une partie du territoire est occupée par la Turquie depuis 1974. Un accord d’association entre la CEE et la Turquie a déjà été conclu en 1963 et le ralentissement endémique de la croissance européenne depuis 2008 impacte aussi l’économie turque. Et surtout, avec ou sans adhésion à l’Union, les deux partenaires sont de toute façon confrontés au même défi des migrations massives des populations du Sud vers le Nord.
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