Nos armées au temps de la Ve République
Nos armées au temps de la Ve République
La naissance de la Ve République est intimement liée à la guerre d’Algérie avec le retour au pouvoir du général de Gaulle. De fait, la dimension militaire a été essentielle surtout avec la volonté gaullienne de retrouver la grandeur et la souveraineté de la France à travers d’une part, la constitution de sa dissuasion nucléaire et d’autre part, avec son autonomisation de décision concrétisée par le retrait de la structure militaire de l’Otan en 1966.
La place de la défense a donc été centrale pour la Ve République à ses débuts avec la fin douloureuse d’une époque marquée par la guerre d’Algérie au profit de l’adaptation de nos armées à un nouveau contexte stratégique dominé par l’affrontement bipolaire entre les deux blocs.
Après la chute du mur de Berlin en 1989, la rupture du modèle est brutale avec la fin annoncée par certains de la guerre, permettant ainsi de toucher les « dividendes de la paix ». Dès lors, la défense est devenue une variable d’ajustement budgétaire avec une chute inéluctable des budgets, des effectifs et une marginalisation progressive de l’institution militaire tant au sein de l’État que de la société, d’autant plus que la décision prise en 1996 de suspendre le service national bouleversait le lien traditionnel entre la Nation et son armée. Et les choix politiques effectués en 2008 et poursuivis en 2012 se sont traduits par un désarmement structurel et durable, que les événements terroristes de 2015 ont brutalement remis en cause, avec une inflexion historique quant à l’arrêt des déflations.
Cette histoire complexe des relations civilo-militaires constitue la trame de cette étude très complète du général Michel Forget. L’un des intérêts de son travail est bien de remettre en perspective la question militaire avec son expertise de chef militaire, permettant ainsi une approche concrète. L’analyse des moyens est effectivement essentielle pour comprendre les difficultés actuelles issues de décisions anciennes et dont les conséquences opérationnelles se font ressentir des années plus tard. Les exemples, hélas, abondent de choix court-termistes et contre-productifs ; la liste est longue. Les retards imposés sur la modernisation des équipements en sont une dramatique illustration. Ainsi, les Boeing KC-135 ont dépassé la cinquantaine, les Transall auraient dû déjà être retirés tandis que les VAB de l’Armée de terre fêtent leurs quarante ans.
Par la rigueur de l’étude, le résultat est dense et dresse un constat réaliste des insuffisances de nos armées. À l’inverse, le général Forget montre aussi combien les forces et l’ensemble du ministère ont dû sans cesse s’adapter tout en poursuivant leurs engagements opérationnels. En effet, l’une des caractéristiques de la Ve République a été l’accroissement progressif des opérations extérieures à partir de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing.
La guerre du Golfe en 1990-1991 marque également une rupture dans la mesure où le contingent n’est pas engagé sur le théâtre d’opération. c’est pourquoi, avec la fin de la menace soviétique, la question du service national est remise à plat, aboutissant à sa suspension – une suppression de fait – en 1996 et donc, par conséquent à la professionnalisation. Ce nouveau modèle plus coûteux s’est mis en place avec une importante restructuration accompagnée d’une baisse drastique des effectifs. Très clairement, en vingt ans, les armées ont su s’adapter tout en voyant leurs missions s’accroître – en ex-Yougoslavie puis au Kosovo – durant les années 1990-2000, Afghanistan de 2001 à 2014, Afrique avec la Côte d’Ivoire puis le Mali, la lutte contre la piraterie. La liste de ces engagements est longue et s’est accrue en 2015-2016 avec les opérations Sentinelle, suite aux attaques terroristes, et Chammal en Irak et Syrie contre Daech.
Or, cet effort sans précédent s’est fait dans une tourmente de réformes initiées à partir de 2008 que l’auteur juge avec sévérité. Les réductions des effectifs, hélas accompagnées de retard dans le renouvellement des programmes d’armement, ont considérablement fragilisé notre outil de défense comme cela est bien démontré dans l’ouvrage. La prise de conscience récente – à l’occasion des attentats – par les dirigeants politiques est une bonne chose et la décision d’arrêter les déflations constitue un changement majeur… depuis 1962. De même, les récentes déclarations visant à atteindre les 2 % du PIB constituent, là encore, une nouvelle prise en compte de la réalité stratégique, alors même que tous les experts – dont les militaires – avaient tiré la sonnette d’alarme depuis plusieurs années.
Ce livre apporte sa contribution avec une approche réaliste de l’intérieur, permettant de confronter les discours avec les faits eux-mêmes et soulevant les contradictions permanentes entre les annonces et la réalisation sur le terrain. Il est à espérer que le prochain quinquennat puisse rattraper les retards accumulés, et pour certains irréversibles, comme le démontre le général Forget.
Un livre utile, lucide et révélateur de l’ambiguïté du discours politique sur la défense. ♦