De Gaulle avait raison, le visionnaire
De Gaulle avait raison, le visionnaire
Secrétaire général de l’Union de la presse francophone (UPF), section France, le journaliste et écrivain Gérard Bardy passe au crible les discours de De Gaulle, sa pensée, ses écrits, ses confidences (en particulier à Alain Peyrefitte) sur des sujets fondamentaux qui animent notre société. Les analyses du fondateur de la Ve République formulées il y a plus d’un demi-siècle restent d’une brûlante actualité. Quelles que soient les opinions des commentateurs, tous s’accordent à saluer l’éthique et la rigueur de l’homme du 18 juin.
Dès son installation à l’Élysée, le Général avait mis un point d’honneur à payer de sa poche les factures d’électricité des appartements privés et les timbres nécessaires à son courrier personnel. Le jour de son arrivée au pouvoir, il avait envoyé son aide de camp chez un brocanteur pour acheter, à ses frais, quatre chaises avec prie-Dieu et quelques objets de culte afin d’aménager une petite chapelle discrète (laïcité oblige) à l’intérieur du palais présidentiel.
Les thématiques abordées mettent en lumière les talents de visionnaire de De Gaulle. Sur l’Éducation nationale, « la grande affaire pour longtemps », il fixe ses priorités à son Premier ministre Georges Pompidou lors d’un Conseil des ministres en décembre 1962 : « Elle doit d’abord contribuer à effacer peu à peu les classes sociales, à condition que tous les jeunes Français y jouissent de chances égales et que son ouverture aux masses soit compensée par une orientation et une sélection appropriées. (…) ». Dans ses Mémoires d’espoir, il ajoute : « Le personnel enseignant (…) est porté par le siècle à une attitude constamment critique et contestataire. Elle est d’autant plus mouvementée que, dans l’Éducation nationale, les organisations de professeurs et d’étudiants ne se complaisent qu’aux théories extrêmes, n’avancent de solutions que les plus outrecuidantes, ne cessent de se diviser suivant les catégories du marxisme et de l’anarchie, et ne s’accordent que pour souhaiter faire de l’Instruction publique le grand levier destructeur de l’actuelle société ». Ce constat lucide est toujours actuel de nos jours.
Sur ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le laxisme de la Justice, de Gaulle avait aussi son idée. Au garde des Sceaux qui s’inquiète, en mars 1966, de l’accroissement de la population pénale, le Général laisse pleuvoir des critiques acerbes contre « la lenteur incroyable des tribunaux, ce qui remplit les prisons de prévenus. (…). Un système trop libéral, avec des libérations conditionnelles sans réelles conditions. (…). On libère à tort et à travers pour avoir des places, et c’est vrai pour les pires, comme on l’a vu avec ce repris de justice qui a assassiné un malheureux policier alors qu’il devait être en train de purger sa peine ». Cette cruelle réalité n’a pas pris une ride !
Sur le service militaire qu’il considérait comme « une grande tradition patriotique et républicaine », l’ancien chef de la France libre déclarait : « Si on le supprimait, il serait bien difficile de le rétablir le jour où on en aurait besoin ». De Gaulle accordait au service national un rôle éducateur et (surtout) intégrateur, nécessaire au brassage des couches sociales et à l’intégration dans un pays traditionnellement ouvert à l’immigration. Cette observation pertinente a refait son apparition dans les débats qui agitent la France en 2016.
Même constat pour le Sénat envers lequel le Général affichait un mépris en raison des privilèges accordés à cette « Chambre haute ». Au Conseil des ministres du 7 décembre 1962, il déclarait : « De Gaulle n’a pas été créé pour s’occuper du train-train. Il faut que je laisse derrière moi un État qui soit solide sur ses jambes. Le Sénat est un talon d’Achille. (…) Le Sénat, c’est une quintessence de comités Théodule ! ».
Les questions d’identité nationale qui enflamment aujourd’hui les campagnes électorales ont été soulevées par le Général qui a toujours affirmé avec force les racines chrétiennes de la France. En février 1950, il prétendait lors d’une conférence dans la région parisienne : « Nous sommes un pays chrétien, c’est un fait. Nous le sommes depuis très longtemps. Il se trouve que nous avons été plus ou moins, et plutôt plus que moins, façonnés par cette source-là. Eh bien, nous n’avons pas besoin de nous méconnaître, et cette flamme chrétienne, en ce qu’elle a d’humain, en ce qu’elle a de moral, elle est la nôtre ». Sur Jeanne d’Arc, dont le souvenir vient d’être sorti des oubliettes de l’Histoire pour être récupéré par les hommes politiques contemporains, de Gaulle proclamait dans un discours culte à Brazzaville en 1941 : « Jadis, c’est de cette foi et de cette espérance secrètes que l’épée de Jeanne d’Arc fit jaillir le grand élan qui bouta l’ennemi hors de France. Demain, les armes de ceux qui se battent pour la patrie chasseront l’ennemi de chez nous, parce que la même foi et la même espérance survivent dans l’âme des Français. Jeanne d’Arc ! Bonne Française, pure Française, sainte Française, demain 11 mai, fête nationale, votre fête, tous les Français seront unis dans la volonté de la libération… ». Vingt-trois ans plus tard, le chef de l’État est invité à présider les cérémonies des fêtes de Jeanne d’Arc à Rouen où elle a été brûlée vive. Retenu à Notre-Dame de Paris, de Gaulle y a envoyé son ministre de la Culture, André Malraux, pourtant le plus agnostique de tout son gouvernement. Pour le Général, il était hors de question que l’État français ne soit pas représenté à Rouen pour honorer la mémoire de l’une des figures les plus emblématiques de notre mystique nationale.
Sur l’Europe, les idées du Général sont toujours mises en avant par les souverainistes. L’homme du 18 juin avait souligné les dangers d’une dérive supranationale dans une conférence de presse en novembre 1953, rappelant alors que « la France n’avait pas attendu les derniers coups de canon pour proclamer, avant tout autre État, sa volonté d’entreprendre l’organisation de l’Europe. (…) Il ne peut y avoir d’Europe qu’en vertu de ses nations, que, de par la nature et l’Histoire, notre continent est tel que la fusion n’y est que confusion (…), que, par exemple, Chateaubriand, Goethe, Byron, Tolstoï n’auraient rien valu en volapük ou en espéranto, mais qu’ils sont toujours de grands écrivains de l’Europe parce que chacun d’eux s’inspira du génie de son pays ». Cinq ans après être revenu au pouvoir, de Gaulle affirmait en janvier 1963 : « Notre politique (…), c’est de réaliser l’union de l’Europe. Mais quelle Europe ? Il faut qu’elle soit véritablement européenne ? Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques, elle sera une histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. L’Europe doit être in-dé-pen-dante ! ». Cinquante ans plus tard, après les remous qui ont agité (et qui n’ont pas fini de secouer l’Union européenne), la question reste posée.
Sur tous ces sujets évoqués, les prévisions de De Gaulle se sont avérées justes. Reste toutefois la controverse de l’indépendance de l’Algérie. Sur cet événement douloureux pour la France, une question lancinante obsède toujours la société : le Général a-t-il eu raison d’avoir accordé l’indépendance à nos anciens départements situés sur l’autre rive de la Méditerranée ? La polémique reste d’autant plus forte que le fondateur de la Ve République est revenu au pouvoir sur l’autel de l’Algérie française. Les palinodies du gouvernement entre 1958 et 1962 ont déclenché des événements tragiques (exode pathétique des Pieds-Noirs, massacres des Harkis, déchirure dans la communauté militaire). Pour maints observateurs, si l’attitude gaulliste dans le terrible malentendu de l’affaire algérienne s’est appuyée sur un jugement réaliste, force est de constater que la brutalité de la méthode employée a provoqué de la colère chez les Européens d’Algérie et dans un pan significatif de la population française. Pour l’auteur de l’ouvrage, la politique algérienne du Général a été motivée, en grande partie, par la nécessité de mettre la France à l’abri d’un islam conquérant. Il s’en est confié à Alain Peyrefitte : « Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! (…) Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par cinq puis par dix pendant que la population française restera presque stationnaire ! Il y aurait deux cents, puis quatre cents députés arabes à Paris ! Vous voyez un Président arabe à Paris ? ».
Lors d’un Conseil des ministres en mai 1963, de Gaulle s’inquiétait du nombre élevé d’immigrants : « J’attire votre attention sur un problème qui pourrait devenir sérieux. Il y a eu 40 000 immigrants d’Algérie en avril. C’est presque égal au nombre de bébés nés en France pendant le même mois. J’aimerais qu’il naisse plus de bébés en France et qu’il y vienne moins d’immigrés. Vraiment, point trop n’en faut ! Il devient urgent d’y mettre bon ordre ! ».
Prononcés aujourd’hui, de tels propos provoqueraient un tollé médiatique. Et pourtant, certains faits nourrissent les angoisses : port du voile intégral dans des lieux publics malgré l’interdiction de la loi, Marseillaise sifflée dans des stades, demandes d’horaires séparés dans les piscines, contestation à propos des menus dans les cantines scolaires, polémiques quant aux programmes de l’Éducation nationale, revendications religieuses dans les entreprises, refus de passer l’oral du bac le jour d’une fête musulmane… Ces comportements identitaires sont vécus par des hommes et des femmes qui, au nom d’une croyance religieuse tout à fait respectable, entendent faire plier la République laïque selon leurs exigences communautaires. Cette situation ne peut que générer un climat de xénophobie, un communautarisme ravageur et la montée des mouvements extrémistes. De Gaulle ne redoutait rien d’autre ! ♦