Le retour du Califat
Le retour du Califat
La proclamation du Califat à l’été 2014, le 29 juin, dans la Mosquée de Mossoul par Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique, a sonné comme un coup de tonnerre. En effet, ce type de gouvernance unissant le politique au spirituel, avait disparu en 1924 avec l’Empire Ottoman. Cette volonté annoncée à Mossoul s’inscrit dans un processus historique qui s’était achevé par un échec mais que les tenants d’un certain islam souhaitent rétablir.
Alors même que le principe régulateur des relations internationales repose sur l’idée d’États-Nations et de frontières associées, le Califat semble être à la fois une remise en cause de la modernité actuelle et donc un danger pour un ensemble musulman déjà très fragile. L’ouvrage de Mathieu Guidère vient donc apporter un éclairage historique tout à fait intéressant sur le Califat permettant ainsi de mieux en appréhender la réalité actuelle.
En 8 chapitres, de la naissance de l’Islam – ou du moins à partir de la succession de Mahomet – jusqu’à la création de l’État islamique aujourd’hui, l’auteur montre l’évolution de l’idée du Califat. Au départ, le Calife est à la fois un messager et héritier de Dieu. Cette dualité lui conférait un rôle politique et religieux organisant autour de sa personne toute la vie des populations lui étant soumises. Cependant, très vite les disputes vont entraîner une fragmentation géographique et dynastique du Califat.
Cet éclatement va aussi se faire entre Orient et Occident avec l’essor de l’institution califale notamment en Andalus. Au Maghreb, la rivalité s’appuie sur la confrontation entre Arabes et Berbères autochtones.
Un autre fait à souligner est l’affaiblissement progressif du rôle du Califat et la montée en puissance du Sultanat qui peu à peu occupe l’espace politique et assure l’administration et la conduite des affaires publiques. C’est aussi l’unification avec la montée en puissance de l’Empire Ottoman, malgré une grande autonomie des administrations locales. Cela s’est traduit par une désacralisation et une « turcisation » du Califat. D’autant plus que l’Islam ne connaît pas alors d’évolution notable tant du dogme que de sa pratique. Il faut cependant souligner que l’institution du Califat va ainsi dépérir et perdre de sa substance et de sa légitimité spirituelle, d’autant plus que l’Empire Ottoman est sous pression des puissances européennes et qu’il n’a pas su s’engager dans le processus de modernisation de l’ère industrielle.
De ce fait, la suppression de l’institution califale pour Kemal Atatürk, en 1924, ne fait que constater la vacance d’un système devenu obsolète.
Les trois derniers chapitres portent sur la période contemporaine et peuvent donc être lus selon des approches différentes. Tout d’abord, Mathieu Guidère souligne l’importance mais aussi l’échec du nationalisme arabe incarné par Nasser puis repris par Afez el-Assad et Saddam Hussein, sans fard de tentation marxiste. Parallèlement, à cette expérience politique, le développement des Frères musulmans apparaît comme une alternative, basée cette fois-ci sur l’Islam.
La confrérie a ainsi pu progresser à partir de l’Égypte et essaimer avec plus ou moins de succès dans le monde arabo-musulman, luttant dans la clandestinité contre les pouvoirs établis. Il y a bien divergence de projet entre le nationalisme arabe et celui porté par les Frères musulmans, l’un ayant échoué et l’autre étant toujours d’actualité.
De ce fait, selon l’auteur, la proclamation en 2014 du Califat serait ainsi l’expression d’une volonté diffuse mais réelle chez les Sunnites de retrouver une forme d’unité du monde arabo-musulman, incluant de facto les Chiites. Ce retour aux sources s’exprime d’ailleurs par le soutien d’une partie des tribus sunnites en Irak qui considèrent être les grands perdants de la chute de Saddam Hussein. Face à l’échec de l’État-Nation, modèle importé d’Europe et qui n’aurait pas réussi à s’implanter, le Califat tel que revendiqué par l’État islamiste pourrait ainsi apparaître comme un projet réfléchi et crédible pour Mathieu Guidère. Cette conclusion peut sembler déroutante et en contradiction avec les politiques actuelles conduites contre Daech. La seule vraie certitude est qu’il n’y a pas de solution simple à court terme et que la violence importée par l’État islamique que ce soit contre les minorités ethniques et religieuses ou en Europe ne peut pas se justifier au nom d’un panislamisme conquérant qui serait incarné par le Califat « new look ».