Parachutistes en Indochine
Parachutistes en Indochine
Docteur d’État en histoire, chercheur au CNRS et professeur à l’université de Paris 3, Marie-Danielle Demélas nous livre un récit très documenté qui tire essentiellement ses sources des archives du Service historique de la Défense (SHD). Le but du document est annoncé dans le prologue : « Ce livre est destiné aux anciens qui ont passé leur jeunesse dans les bataillons parachutistes ; qui leur rappelle les bons et les mauvais jours et les aide à rassembler des souvenirs épars. Il aura aussi rempli son objet s’il permet aux plus jeunes de comprendre les aspects de cette guerre confuse qu’ont vécue leurs aînés ».
Guidée par cette ligne directrice, l’auteure décrit la vie quotidienne de ces soldats et de leurs officiers (qui découvrent brutalement la guerre révolutionnaire) dans le conflit indochinois. C’est le côté humain de cet essai captivant. L’aspect politique est également abordé par le truchement d’analyses sans concessions des errements stratégiques dont furent victimes les combattants du corps expéditionnaire. L’incompréhension totale entre les hommes d’action, sur le terrain, et ceux de cabinet, déjà patente au début de l’intervention française, n’a fait que s’amplifier par la suite. Un exemple : la mise en place difficile des bases conçues pour assurer le transport, l’approvisionnement et l’évacuation des troupes. Malgré cet objectif, ces installations vitales pour mener des opérations sont restées « des organismes fragiles qui ont grandi sans plan ni prévoyance ». La défense de ces bases ne sera vraiment terminée « quand interviendra le cessez-le-feu en juillet 1954 » ! Comme le souligne l’historienne : « Le cœur du problème était politique, pas militaire. Il en allait comme pour l’armée française ; aussi résolue qu’elle fût à se battre, on ne pouvait pas gagner une guerre avec une armée coupée du pays et dirigée par une classe politique sans vertu. L’armée vietnamienne était condamnée par l’indignité de Bao Dai et de son entourage, l’armée française l’était tout autant par l’impéritie de la IVe République. Mais les unités parachutistes ne se perdaient pas à de telles considérations, trop occupées à leurs servitudes quotidiennes, quand elles ne paraient pas en opération ».
Les passionnés d’histoire militaire trouveront dans cette narration des chroniques inédites extraites des journaux de marche des BCCP (bataillon colonial de commandos parachutistes), BPC (bataillon parachutiste colonial), BPCP (bataillon parachutiste de chasseurs à pied), BEP (bataillon étranger parachutiste), BPVN (bataillon parachutiste vietnamien, dit bawouan), BT (bataillon thai), de la CIP (compagnie indochinoise parachutiste) et de la CIPLE (compagnie indochinoise parachutiste de légion étrangère). Un hommage est rendu aux plieuses de parachutes, « ces jeunes femmes de vingt à vingt-deux ans qui sont venues chercher en Indochine, comme beaucoup de soldats, des ressources qu’elles ne trouvaient pas en France. (…) Les soixante et onze AFAT (auxiliaires féminins de l’Armée de terre) plieuses, réparties entre les bases, effectuent avec beaucoup de conscience un travail particulièrement pénible ». Dans la légende poignante des femmes (oubliées) qui ont servi dans ce théâtre d’Extrême-Orient, Marie-Danielle Demélas cite également Valéry André (la première militaire française à avoir accédé au grade de général en 1976), « un petit bout de femme revêtue d’une combinaison de vol toute chiffonnée qui nous a paru plus belle qu’une robe de bal ». Cet officier féminin était médecin et pilote d’hélicoptère pour évacuer les blessés.
La bataille douloureuse de Diên Biên Phu est traitée dans la dernière partie du document. À l’indifférence (scandaleuse) de l’opinion en métropole s’est superposé un feuilleton épique entretenu par une presse avide de récits accrocheurs : « les allures racés du colonel de Castries, les paras baroudeurs, la Légion impavide, les centaines de volontaires pour la fournaise, les hommes dans la boue des tranchées. Quelque chose d’un peu suranné mais de très héroïque ». Au final, la réaction la plus fréquente sera sans équivoque : « Que sont-ils donc allés faire dans cette cuvette ? Et les stratèges de comptoir d’asséner : qui tient les hauts, tient les bas. On était dans les bas, on ne tenait pas les hauts, on a perdu ». Mais ce constat ne doit pas s’arrêter à cette affirmation. Six décennies après la tragédie de Diên Biên Phu, les observateurs avisés reconnaissent que les soldats du corps expéditionnaire, en particulier les parachutistes, englués par les politiques dans le guêpier indochinois, ont écrit des pages bouleversantes de bravoure dans le chapitre émouvant de l’histoire de l’armée française. ♦