Preamble—The 800th Revue Défense Nationale: Action!
Préambule - Revue Défense Nationale 800e : Action !
En ce mois de mai 2017 (1), la parution du 800e numéro de la Revue Défense Nationale fait de ce mensuel de référence le plus ancien média de stratégie consacré à la sécurité nationale de la France, notion comprise au sens du code de la Défense de 2004 (2), lui-même héritier de l’ordonnance de 1959.
L’esprit du discours du général de Gaulle à Bayeux le 16 juin 1946, toujours présent, transcende les avatars de nos républiques : « la Défense ! C’est la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ».
De mai 1939 à mai 2017, 800 numéros se sont ainsi succédé sur un rythme mensuel, cependant interrompu après le numéro de juin 1940 et naturellement repris avec celui de juillet 1945, ouvert par un éditorial du général Juin.
Quelques repères balisent le parcours déjà accompli par la Revue.
Plus de 5 000 auteurs sont référencés (3), témoignage d’une diversité peu commune des contributions. Pour ne citer que quelques-uns des articles écrits au fil du temps pour la Revue (4), on trouve en juillet 1945 « Le problème belge » de Charles de Gaulle ; en mars 1956 un échange entre l’amiral Castex et le général Navarre sur « Les données de la défense en Indochine » ; en mars 1960, « Après les événements d’Alger : l’armée, l’Algérie et la Nation » de l’académicien Thierry Maulnier ; en 1965, « L’affaire du Vietnam » par l’ambassadeur Chauvel ; en janvier 1975, « Stratégie et dissuasion : pour une libre discussion » par Raymond Aron ; en février 1981, « Éducation, culture et société » par Christian Beullac, ministre de l’Éducation nationale ; en juillet 1999, « De l’URSS à la Russie » par Hélène Carrère d’Encausse de l’Académie française.
L’éventail des thèmes traités est sans équivalent également, celles et ceux qui s’y intéressent les trouveront sur le site de la Revue où tous les numéros, articles, chroniques, recensions, repères et brèves sont accessibles.
Le n° 1 de la Revue des Questions de Défense Nationale paru ainsi en mai 1939, il y a donc exactement 78 ans, donnait le ton, et de larges extraits de l’éditorial du comité de rédaction sont repris ci-dessous.
« Les menaces qui pèsent sur la paix du monde font plus que jamais un devoir à tous ceux que préoccupent la sécurité du pays et son rang dans le monde d’appliquer leur réflexion aux problèmes vitaux dont la solution commande la Défense nationale. Ce devoir, d’ordre civique, est d’autant plus impérieux que, si la guerre devait éclater, aucun élément de la nation ne pourrait s’y soustraire…
Le matériel, en nombre et en perfection, y jouera un rôle prépondérant. D’autre part, cette lutte prendra, sinon immédiatement, du moins très rapidement, la forme d’une guerre de coalition. Enfin, un conflit survenant entre d’autres peuples, même s’il nous laisse initialement en dehors de la lutte, ne peut nous trouver indifférents, puisqu’il risque de troubler un équilibre du monde auquel nous sommes intéressés. Dans cette mêlée entre les peuples, ce sont toujours les forces matérielles, intellectuelles et morales qui s’affronteront… Mais, ici comme partout, l’esprit demeure toujours au-dessus de la matière et la domine. Nous devons donc accorder au développement des aptitudes intellectuelles du pays toute son importance.
Enfin, les forces qui relèvent du domaine moral requièrent plus que jamais une attention particulière. (…) … la préparation morale doit pénétrer en tout temps non seulement l’Armée, mais l’École, la Famille, l’Atelier. L’œuvre préparatoire de Défense nationale apparaît ainsi dans toute son ampleur et sa complexité…
La Revue dont nous prenons la direction et qui paraît sous le titre de Revue des Questions de Défense Nationale se propose de combler la lacune que mettent en évidence l’expérience des dernières années et les préoccupations du moment.
Son but est d’attirer l’attention sur les grands problèmes qui, à des titres divers, intéressent la Défense nationale et qui sollicitent le concours de toutes les activités de l’Empire. De tels problèmes réclament, dans tous les domaines, la collaboration et la compétence des personnalités jouissant d’une autorité reconnue. Ils requièrent un incessant rapprochement des points de vue spéciaux à chacun d’eux de manière à harmoniser les conceptions particulières dans un véritable et fécond esprit de Défense nationale. Ils exigent enfin que la diffusion de ces idées soit largement assurée.
La Revue des Questions de Défense Nationale s’efforcera de poursuivre cette tâche. Elle compte le faire en portant ses regards vers l’avenir, dans une atmosphère de large indépendance, de pensée renouvelée et de haute sérénité d’esprit.
Elle tient, en ouvrant ses travaux, à rendre hommage à l’œuvre précédemment accomplie par la Revue militaire générale (à laquelle elle succède), dont la direction avait aperçu, au-delà du but volontairement limité qu’elle s’était primitivement assigné, l’universalité du problème de la Défense nationale et qui lui laisse, pour en développer l’étude, une documentation des plus utiles ».
Ces lignes sont d’une actualité qui impressionne encore par la vision longue des enjeux de sécurité nationale qu’elles traçaient. Par exemple, les Français, durement atteints par les attentats terroristes, ont durablement compris en 2017 que les crises, guerres et autres conflits de toutes natures supposés lointains de la métropole les concernaient au premier chef, et que les forces morales restaient le socle de la victoire. Quasiment aucun des candidats dans l’actuelle campagne présidentielle ne s’est d’ailleurs départi de la ligne générale visant à ne pas négliger l’effort de défense dans toutes ses dimensions.
En donnant toujours place au débat d’idées sur chacun des grands sujets, la Revue a fourni des repères utiles aux décideurs dans des configurations stratégiques successives aussi variées qu’inattendues.
À partir de 1945, la période de guerre froide a stabilisé un monde dont les excès étaient globalement contenus par un des deux blocs, permettant néanmoins à des métastases mortelles de se développer « en dessous du radar » dans l’un et l’autre camp. Après la chute du mur en 1989, les États-Unis hyperpuissants ont conduit les affaires seuls et entraîné leurs alliés dans des aventures multiples dont les conséquences n’ont pas toujours été heureuses. On oublie souvent que ce pays n’a connu sur son sol depuis 1776 que la guerre civile et que le dilemme de sa politique extérieure est de définir à chaque mandat (5) le niveau des Opex auquel il se consacrera (6). 2001 a vu l’émergence du terrorisme de masse et la fin des alliances « qui définissaient les missions » au profit des « missions qui déterminaient les coalitions », ce que la France a mis un certain temps à accepter. À partir de 2011, les événements trop rapidement qualifiés de « printemps arabes » ont brouillé les signaux d’alerte habituels des diplomaties occidentales et en 2017, la lutte contre l’État islamique qui a imposé la « guerre » sur notre sol, constitue notre quotidien.
Nous allons vers un monde inconnu qu’il faut d’autant plus étudier, analyser, discuter que l’impréparation serait fatale. Le débat stratégique qui s’ouvre à la veille sans doute d’un nouveau Livre blanc et d’une nouvelle loi de programmation culbute les certitudes antérieures.
Au plan strictement politique, les pays européens, comme d’autres grandes démocraties, sont désormais divisés sur le devenir même de leurs sociétés : ouverture ou fermeture, nationalisme ou mondialisation, protectionnisme ou libre-échange, des alternatives dont les termes sont incompatibles surgissent dans tous les domaines, financiers, économiques, sociaux, sécuritaires.
Au plan géostratégique, le monde à l’horizon 2037 (7) retient trois scénarios qui vont sans doute s’imposer dans la réflexion à venir. Ils marquent la fin du monde actuel, l’évolution voire la disparition de l’ordre mondial autour de l’ONU et des organisations mondiales ainsi que le retour à la violence collective.
• Le premier est celui des « archipels » attiré par l’isolationnisme et le protectionnisme.
• Le deuxième est celui des « sphères d’influence », sorte de prolongement des Traités de Westphalie, malgré l’émergence du droit international qui en a été un des fruits heureux. Les États-nations reviennent aux premières places et font valoir leurs droits comme leurs intérêts.
• Le troisième est celui des « communautés », symbolisé par les « GAFA » (Google, Apple, Facebook et Amazon). Il marque la réduction du rôle des États au profit des réseaux, des religions, des villes, des associations. Comme c’est un monde ouvert et fluide, il annonce peut-être par là, la fin du développement du terrorisme.
En réalité, ces scénarios dégagent en filigrane l’idée que les turbulences du court et du moyen terme, pour euphémique que soit ce terme, conduiront à un monde plus stable « vingt ans après ». Acceptons-en l’augure.
Enfin, et pour revenir à la Revue, le n° 800 ne relève pas d’une ou deux thématiques particulières comme c’est en général le cas. La rédaction a fait le choix de donner carte blanche aux auteurs, toutes et tous ont des références indiscutées dans leur domaine lié à la réflexion stratégique.
• Pascal Boniface a choisi de parler de la fonction géopolitique du sport, Jean-Robert Rebmeister d’un parcours humain d’excellence au sein de l’institution (les « forces morales » de 1939).
• Éric Trappier et Laurent Collet-Billon expliquent le rôle majeur de l’industrie (les « forces matérielles »).
• Louis Gautier, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Thomas Meszaros, Mustapha Benchenane et François Heisbourg exposent et analysent les enjeux de stratégie (les « forces intellectuelles »). Le Brexit (Patrick Chevallereau et Malcolm Chalmers), le rôle de plus en plus important de l’Allemagne pour notre pays (Philippe Étienne), la défense européenne (Nicole Gnesotto), le Moyen-Orient (Pierre Razoux) sont naturellement dans le vaste panorama de ce numéro. La Revue continuera de jouer son rôle. Merci à celles et ceux qui la lisent, la partagent et la nourrissent de leurs contributions. ♦
(1) Pour des raisons techniques d’impression, cet article est écrit en avril 2017 avant le premier tour de l’élection présidentielle.
(2) « La stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République, et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter. L’ensemble des politiques publiques concourt à la sécurité nationale. La politique de défense a pour objet d’assurer l’intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. Elle contribue à la lutte contre les autres menaces susceptibles de mettre en cause la sécurité nationale. Elle pourvoit au respect des alliances, des traités et des accords internationaux et participe, dans le cadre des traités européens en vigueur, à la politique européenne de sécurité et de défense commune ».
(3) Sur le site (www.defnat.com).
(4) Et non la reprise de discours officiels.
(5) Via les Quadrennial Defense Review.
(6) On peut mettre dans le même « camp » stratégique le Royaume-Uni pour les mêmes raisons.
(7) Le nouveau rapport de la CIA : Les Vingt prochaines années - L’avenir vu par les services de renseignement américains, présenté par Bruno Tertrais ; Les Arènes, 2017.