La défense a une relation complexe avec l’économie, qui nécessite d’être étudiée avec attention, car l’économie de défense contribue également au développement des entreprises. Les travaux ont commencé après 1945 aux États-Unis et se poursuivent, alimentant les recherches de prospective.
Les relations entre l’économie et la défense : rétrospective et matériaux pour une prospective
The Relationship Between the Economy and Defence: a Retrospective and Fodder for Prospection
The relationship between defence and the economy is a complex one that needs to be examined carefully, since the defence economy also contributes to the development of industries. Work began from 1945 in the United States and continues today to feed prospective research.
Les relations entre l’économie et la défense sont complexes, parce qu’elles se manifestent à plusieurs niveaux différents. C’est au niveau macroéconomique que ces relations sont les plus immédiatement visibles. La défense requiert des dépenses militaires financées par un budget qui s’inscrit dans le budget global des nations. À ce titre, elle représente une charge économique. Mais si la défense entraîne un coût économique, elle fournit également un service et il revient aux économistes de mesurer la valeur économique de celui-ci. La recherche de cette mesure économique du service de la défense conduit à explorer un autre niveau de cette relation, d’ordre conceptuel cette fois. Du point de vue économique, en effet, la défense représente un bien non marchand, à ce titre différent de la majorité des biens qui s’échangent, prioritairement analysés par la science économique. C’est en comparant le coût économique des dépenses de défense à l’avantage procuré par leur service rendu à la collectivité qu’une analyse économique coûts-avantages peut être appliquée à cette activité particulière. Il en résulte la nécessité pour les économistes de développer des outils analytiques adaptés à cette fin, en relation avec l’approche stratégique suivie par la communauté militaire. La défense, enfin, est inséparable des instruments qui permettent d’en assurer la mission, c’est-à-dire des armements. Or, la production d’armement est un secteur économique essentiel à l’activité de défense. Il présente également de nombreuses singularités économiques, tant dans son organisation que dans sa commercialisation, en raison notamment des contraintes technologiques qui pèsent sur elle et de la dimension géostratégique de ses exportations. L’objet de cet article est de retracer l’évolution sur une longue période de ces relations aux multiples facettes entre l’économie et la défense, avant d’esquisser, en conclusion, les lignes directrices de leur avenir prévisible.
La guerre froide aux origines d’une économie de la défense
Du point de vue de la théorie économique, la défense est traditionnellement considérée comme l’exemple par excellence d’un « bien public pur », au sens où aucune entité individuelle ne peut se l’approprier, ni s’exclure de ses bénéfices. Cette définition a été par la suite affinée, en fonction notamment des différentes doctrines de défense et des modes d’organisation des alliances (cf. T. Sandler, K. Hartley). De fait, les relations entre la défense et l’économie se sont rapidement développées, principalement aux États-Unis, à la faveur de la guerre froide. Ainsi, dès le début des années 1950, on assiste à la création de la RAND Corporation qui se dote rapidement d’une importante Direction des affaires économiques. Mais c’est surtout à partir des années 1960, avec l’arrivée de McNamara et de son équipe, que s’opère la transformation. Un système de programmation des dépenses militaires, le fameux PPBS (Planning Programming Budget System), est alors élaboré et mis en œuvre sous la direction de R. Hitch, lui-même issue de la Rand Corporation. Cette programmation économique prend à la fois en compte, selon une approche intégrée, les objectifs de politique étrangère des États-Unis, ses options stratégiques et les contraintes économiques et financières qui en découlent. Cette construction exigeait de développer de nouveaux outils d’analyse permettant d’appréhender dans un même système les dimensions stratégiques et économiques du pays, afin de leur appliquer une évaluation coûts-bénéfices dans un format renouvelé. Il en est résulté une multiplication de programmes de recherches développés sur ces thèmes, notamment au sein de nombreux instituts universitaires et la création de plusieurs Think Tanks.
Le contexte de cette seconde séquence de la guerre froide qui s’ouvre au début des années 1960 favorisait le développement de cette nouvelle approche économique des activités de défense. On rappellera d’abord le poids des dépenses militaires qui représentaient jusqu’au milieu de cette période près de 9 % du GNP (Gross National Product) américain, soit un peu plus de 40 % du budget fédéral. Ce poids macroéconomique des dépenses de défense s’est accompagné pour les industries d’armement d’une nouvelle dynamique de nature technologique impulsée par la recherche et le développement. Un autre problème économique posé par la défense est également apparu durant cette période de paix armée avec l’adoption par l’Otan en 1967 de la nouvelle doctrine stratégique américaine de réponse flexible (Flexible Response). Il s’agit de l’épineuse question du partage de la charge commune entre les pays participants à l’Alliance (Burden Sharing). Cette question très concrète posait à la théorie économique le redoutable problème du partage d’un bien public pur, avec tous les risques de passagers clandestins qu’il entraîne. Ce n’est du reste pas tout à fait un hasard si c’est à cette époque que fut élaborée une véritable théorie économique des alliances, en partant précisément du cas posé par le partage du fardeau entre les pays membres de l’Otan (cf. M. Olson, R. Zeckhauser). Parallèlement, du reste, les stratégies d’alliance développées par les firmes opérant dans le secteur de la défense ont servi de modèles pour les travaux ultérieurs concernant de manière plus générale le management des stratégies d’alliances des groupes industriels et financiers.
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