La crise ne débouche pas toujours sur la guerre. Les études théoriques permettent de mieux définir le concept de crise comme un des éléments de la conflictualité internationale qui reste élevée. Cette approche est utile, ne serait-ce que pour comprendre les mécanismes spécifiques à une crise et donc d’y répondre.
« L’autonomisation du concept de crise » dans le champ de la conflictualité internationale
Independent Consideration of the ‘Concept of Crisis’ in the Field of International Conflict
Crises do not always end up as wars. Study allows for better definition of the ‘concept of crisis’ as one of the elements in the high level of international conflict. This approach can be useful, if only to gain better understanding of the mechanisms particular to a crisis and therefore to be in a position to respond to it.
Il n’est pas possible de traiter de l’autonomie du concept de crise dans le champ de la conflictualité internationale sans rappeler les travaux fondateurs de Lucien Poirier en France, de Michael Brecher et Jonathan Wilkenfeld outre-Atlantique. Dans cette brève contribution, il s’agira de restituer à ces deux sources originales l’importance qu’elles occupent dans le champ de l’étude des crises internationales.
Entre 1975 et 1976, le général Lucien Poirier dispense au Centre des hautes études militaires (Chem) et au Cours supérieur interarmées, une série de communications sur la stratégie (1). Ces communications serviront de base aux trois tomes intitulés Stratégie théorique (Poirier, 1987, 1996, 1997). Le 1er supplément du n° 13 de la revue Stratégique, Cahier de la Fondation pour les études de défense nationale, publié en 1982, en constitue une première version sous le titre Essais de stratégie théorique (Poirier, 1982). La 5e partie, intitulée « Éléments pour une théorie de la crise », reprend les communications précédemment dispensées au Chem et au Cours supérieur interarmées. Elles sont les fruits d’une réflexion engagée par Lucien Poirier dans les années 1960 dans le cadre du suivi qu’il assurait d’un contrat entre l’Institut français de stratégie, fondé par le général Beaufre, et le Centre de prospective et d’évaluations. Son objectif était alors de « penser une stratégie pour la France », en l’occurrence une stratégie nucléaire répondant aux contraintes imposées par le système international bipolaire. Cette réflexion stratégique donnera naissance au concept de dissuasion, inspiré du concept américain de représailles massives. La stratégie française de dissuasion dite du faible au fort, dont Lucien Poirier a été l’un des instigateurs, est la conséquence d’une nécessaire révolution stratégique, perçue par l’amiral Castex dès la fin des années 1950, engendrée par l’apparition du feu nucléaire.
C’est dans ce contexte qu’il a également engagé une réflexion sur les crises internationales. Sa portée est stratégique. La crise de Cuba, en 1962, a été un événement décisif. Elle consacre « l’autonomisation du concept de crise » c’est-à-dire l’acte de naissance d’une pensée spécifiquement dédiée aux crises internationales (Poirier, 1982, p. 315). Certes, le fait crise n’apparaît pas avec le feu nucléaire mais l’intérêt porté à ce phénomène se manifeste avec la multiplication des crises qui se produisent durant la guerre froide et qui sont la conséquence de l’état de « paix impossible et guerre improbable » du système international. Cet état « a valorisé deux modes stratégiques, la dissuasion et l’action indirecte » (Aron, 1946, p. 26 ; Poirier, 1982, p. 315 ; 1983, p. 82). Si la dissuasion nucléaire a permis de limiter le risque de confrontation militaire directe entre les deux Grands, elle a favorisé le développement de stratégies indirectes à l’origine de la multiplication des crises. En définitive, l’arme nucléaire a été, et demeure encore à l’âge post-guerre froide, un facteur de crise. Pour Lucien Poirier, l’autonomisation de la crise a ouvert une voie encore inexplorée dans la discipline stratégique, en particulier dans la stratégie du conflit. Elle a généré une effervescence intellectuelle autour de ce phénomène pour mieux le comprendre, en réduire les dangers et en exploiter les opportunités.
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