L’Arabie saoudite [en 100 questions]
L’Arabie saoudite [en 100 questions]
L’Arabie saoudite questionne, suscite les fantasmes les plus diverses et provoque des inquiétudes, en particulier en Occident où le Royaume est souvent accusé de financer depuis des années les mouvements islamistes les plus rigoristes et qui constitueraient le terreau du terrorisme actuel. Ainsi, la plupart des membres du commando du 11 septembre 2001 étaient saoudiens et leur leader, Oussama Ben Laden, appartenait à une des plus grandes familles d’entrepreneurs du pays. Depuis, celui-ci suscite la méfiance alors même que ses richesses attirent l’intérêt des marchés.
De fait, l’Arabie est peu et mal connue, d’autant plus qu’elle est peu visitée, hormis par les hommes d’affaires et les pèlerins du Hadj, le tourisme n’étant pas jusqu’à présent une priorité. Cette méconnaissance est donc très préjudiciable en particulier pour comprendre le rôle essentiel de Ryad comme acteur régional.
D’où l’importance de cet ouvrage rédigé par Fatiha Dazi-Héni, chercheuse à l’IRSEM. Son travail est particulièrement utile et bienvenu pour avoir une meilleure compréhension des enjeux et défis posés à et par l’Arabie saoudite. S’appuyant sur le principe de la collection « en 100 questions », elle nous propose de découvrir le royaume en 9 chapitres permettant ainsi de mesurer la complexité du pays mais aussi les changements en cours qui remettent en cause ses fondamentaux. Bien sûr, l’histoire y tient une place importante car si l’État saoudien est récent puisque créé en 1932, la péninsule est riche d’une histoire millénaire et puise son identité dans l’Islam depuis le VIIe siècle. Cette identification est effectivement centrale et structure entièrement le Royaume, d’autant plus que le pouvoir monarchique est totalement lié au pouvoir religieux avec une rigidité s’inscrivant dans la tradition hanbalo-wahhabite, figeant la société saoudienne dans un blocage rétrograde comme la peine de mort (153 exécutions en 2016), accentuant les difficultés face aux aspirations d’une jeunesse avide de changement.
L’analyse du système politique saoudien apporte un éclairage très pertinent sur sa complexité, avec notamment la question encore en jachère des règles de succession qui constitue un talon d’Achille. Et de ce fait, l’importance numérique de la famille royale pèse sur toute évolution possible. La famille est estimée à environ 6 000 Princes sur 20 000 membres et un millier a rang d’Altesses Royales. 2015 marque cependant une rupture voulue par le Roi Salman avec une technocratisation du pouvoir et la mise en avant de son neveu Mohammed Bin Nayef comme ministre de l’Intérieur et Prince héritier, et de son fils Mohammed Ben Salman au ministère de la Défense. Ce saut générationnel est censé clarifier le paysage politique et donner une impulsion à la modernisation économique du pays, tout en évitant soigneusement une remise en cause sociétale, le conservatisme des mœurs restant la règle. De fait, la monarchie a pris conscience de sa vulnérabilité liée également au tout pétrole. Il importe en effet de changer de culture en effaçant progressivement celle de la rente pétrolière au profit de celle du travail, alors même que les Saoudiens travaillent peu, bénéficiant d’une abondante main-d’œuvre expatriée et surexploitée. Le défi est gigantesque et s’inscrit dans la durée. Le plan Vision 2030 doit répondre à cette transformation en profondeur du système saoudien.
L’auteure analyse avec efficacité la place et le rôle de l’Arabie dans la région avec ses fractures multiples comme la relation compliquée entre les Sunnites et les Chiites également présents dans le Royaume. Celui-ci est confronté à des menaces majeures comme l’État islamique encore actif dans ses fiefs irakien et syrien, et Al-Qaïda bien implanté au Yémen. L’autre menace existentielle est bien entendu l’Iran.
Ryad a ainsi tout fait depuis 1979 pour éviter que Téhéran prenne le leadership régional. Il y eut le soutien à l’Irak de Saddam Hussein durant sa guerre contre l’Iran. Il y eut la lutte permanente pour empêcher les projets nucléaires de Téhéran. Or, indéniablement le pays des Ayatollahs a su patiemment obtenir son retour en grâce d’autant plus qu’il constitue un énorme marché potentiel avec ses 80 millions d’habitants.
L’une des expressions de cette rivalité est l’actuel conflit au Yémen où les rebelles houthis bénéficient de l’appui iranien, malgré l’intervention d’une coalition arabe dirigée par les Saoudiens, depuis mars 2015 et qui n’arrive pas à emporter la décision.
À travers les 100 réponses données se dégage une meilleure compréhension de ce Royaume encore très fermé. Il apparaît clairement que celui-ci est à la croisée des chemins. L’échec du plan Vision 2030 serait dramatique non seulement pour le pays mais aussi pour toute la région dont la stabilité reste très aléatoire. Les difficultés sont nombreuses, entre les blocages sociétaux liés au rigorisme wahhabite et à l’absence de vraie culture du travail dans une société totalement assistée par l’État jusqu’à présent et grâce à la rente pétrolière. Parmi les clés de la réussite ou du chaos, il y aura l’éducation avec des emplois qualifiés et la redéfinition de la place des femmes dans une société très misogyne et marquée par le rigorisme islamiste.
Le livre de Fatiha Dazi-Héni doit être lu avec la plus grande attention car il contribue à cette connaissance indispensable d’un État clé pour la sécurité non seulement du Golfe mais aussi pour la Méditerranée et l’Europe. ♦