L’Europe des Balkans reste instable, en proie à de nombreuses incertitudes quant à son identité et à ses perspectives. Sur un fond de surenchère nationaliste, les États de la région – de nature fragile – semblent avoir du mal à dépasser leurs divergences pour proposer un projet global et fédérateur.
De l’incertitude à la lumière de l’Europe du Sud-Est
Spotlight on Uncertainty in South Eastern Europe
The Balkans remains an unstable area, prey to numerous uncertainties regarding its identity and future. The fundamentally nationalist countries in the region are fragile by nature and are having difficulty in overcoming their differences in order to propose a common, federating overall plan.
Repenser l’Europe du Sud-Est, comme un espace susceptible de trouver dans l’avenir les ressources de l’apaisement indispensable à son développement, demeure de nos jours une gageure dont on n’aperçoit point l’horizon. Et pour cause, il semble que l’enchevêtrement du présent et du passé, inscrit dans la perspective du temps long de l’histoire braudélienne, mobilise des symboles chargés d’intensité et révèle les structures profondément ancrées au sein des sociétés balkaniques et les conflits de lecture toujours figées, mais toujours en suspens. Tel est le contexte présent du mal-être des identités qui parfois s’égarent dans un récit d’appartenance nationale et religieuse comme en un refuge idéalisé, alors qu’un continuum politique cohérent, susceptible de pacifier les passions et les antagonismes latents, fait cruellement défaut. À cela s’ajoute une stratégie occidentale parsemée d’interrogations quant à la manière dont l’UE et les États-Unis ont conçu la structure administrative des États et leur intégration à l’euroatlantisme. Une telle démarche a incontestablement entraîné une forme de dépendance économique après les années 1990 caractérisées par la cristallisation de phénomènes d’oligarchie locale et la subordination des choix macro-économiques à la perspective de l’intégration européenne et de la mondialisation. De même, l’élargissement de l’Otan constitue un facteur de tension (avec la Serbie et la Russie en particulier) qui fait obstacle à la mise en œuvre d’une mobilisation régionale et partagée des États à l’égard des enjeux de sécurité collective, envisagée au-delà du cadre des organisations militaires intergouvernementales existantes. Il résulte de cette situation pour les peuples un sentiment d’abandon et d’incertitude sur l’avenir de la région tant sur le plan stratégique que social et économique. Toutes les tensions latentes s’en trouvent dangereusement ravivées.
Cette réflexion sur une région considérée ici comme un laboratoire de la complexité universelle a pour ambition de démontrer comment se forgent les représentations et les positionnements stratégiques des acteurs régionaux de l’Europe du Sud-Est dans un contexte d’incertitude relatif à la politique étrangère du président américain Donald Trump. On observera que cette incertitude (certes en voie de dissipation progressive) concernant les nouveaux objectifs de la politique extérieure des États-Unis, outre ses effets déstabilisateurs sur les gouvernants locaux, se conjugue à d’autres incertitudes locales et régionales dans un contexte général où les gouvernances parfois fragilisées par des facteurs intérieurs sont le plus souvent subordonnées à un horizon de court terme.
Le concept de l’incertitude, que nous allons essayer d’étayer, est perçu – afin d’éclairer notre approche –- dans un premier temps à la lumière de l’anthropologie (1), comme le paradigme d’un processus de connaissance dont il faut bien tirer quelques points clés. Aussi, s’apparente-t-il comme « un exercice… une discipline » essayant de reconstituer le « travail de reconnaissance ». Convenons que les sociétés balkaniques ont un socle commun culturel et anthropologique que la surenchère des passions identitaires ne peut parvenir à occulter durablement. Ces formations sociales sont caractérisées par une certaine hybridité où se perpétuent traditions et rites, mœurs quotidiennes communes. Pour autant, ces sociétés ne sauraient se voir réduire à une approche essentialiste (2), nonobstant, la prise en compte des liens historiques forgés au sein des deux Empires ottoman et austro-hongrois des Habsbourg.
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