Military history–The Oriental Expeditionary Force (1915-1918)
Histoire militaire - L’Armée d’Orient (1915-1918)
Lorsque la situation générale sur le front occidental débouche sur une impasse tactique du fait de la stabilisation des fronts fin 1914, Franchet d’Espèrey, qui avait séjourné dans la région avant-guerre, charge son chef d’état-major, le général de Lardemelle de planifier l’engagement d’une armée complète à cinq corps d’armée depuis Salonique pour se joindre à l’armée serbe dans le cadre d’une offensive majeure contre l’Autriche. Soumise au président de la République, cette option en mode indirect est discutée en conseil des ministres, mais se trouve rejetée catégoriquement par le GQG qui, demeurant fidèle à sa stratégie en mode direct, ne veut se séparer d’aucun moyen au moment où il planifie, quant à lui, les offensives d’Artois et de Champagne.
C’est l’échec des Dardanelles et surtout l’entrée en scène de la Bulgarie dans le camp des Puissances centrales qui vont modifier la donne. Totalement encerclée, la Serbie ne peut tenir tête à une offensive conjointe austro-bulgare, ces derniers étant soutenus par les Allemands. En effet, dans la disparition de la Serbie, Falkenhayn voit la possibilité d’établir une continuité territoriale avec son allié ottoman. Pour recueillir une armée serbe en déroute, Venizelos, Premier ministre grec, donne son aval au débarquement d’un corps expéditionnaire franco-britannique à Salonique, de manière à ce qu’il puisse s’engager vers la Serbie en utilisant la voie naturelle de la vallée du Vardar. Le roi de Grèce, dont l’épouse est la propre sœur du Kaiser, n’a pas été consulté dans cette décision, ce qui augure mal des relations à venir avec lui. Cinq divisions britanniques et trois françaises sont dirigées sur la Thessalie depuis les Dardanelles et le général Sarrail, fraîchement débarqué de son commandement d’armée par Joffre, en reçoit le commandement. Le recueil de l’armée serbe s’avère vite un leurre, les Serbes étant contraints par l’offensive bulgare de retraiter vers l’Albanie au cours d’une véritable Anabase. C’est dans un état de dénuement complet que les restes de cette armée atteindront Corfou. Dans l’impossibilité de remplir sa mission de recueil, Sarrail a replié ses moyens sur ce qui deviendra sous peu le camp retranché de Salonique.
En France, un débat stratégique oppose Briand, nouveau président du Conseil, à Joffre. Le premier souhaite maintenir la présence française en Grèce du Nord pour inciter la Roumanie et, pourquoi pas, la Grèce à rallier les rangs de l’Entente. Joffre, pour sa part, n’y voit qu’une dispersion des moyens préjudiciable au front occidental. Quant à Kitchener, obnubilé par la défense de Suez, il souhaite replier les divisions britanniques sur l’Égypte. Comme souvent lorsque des positions s’affrontent, c’est le statu quo qui l’emporte. Le front d’Orient va s’imposer dans les faits.
Sarrail est confirmé dans son commandement et même s’il est formellement reconnu comme commandant en chef interallié par les puissances de l’Entente, dans les faits, l’emploi des contingents italiens et britanniques lui échappe et il ne peut réellement exercer son commandement que sur les divisions françaises, l’armée serbe reconstituée arrivant de Corfou et les quelques brigades russes. Au cours de l’été 1916, si une offensive alliée permet à Sarrail de s’emparer de Monastir, à l’ouest de son dispositif, il lui est cependant impossible de conjuguer ses efforts avec l’entrée en guerre de la Roumanie, ce qui sera fatal à l’armée roumaine. Comme sur le front occidental, la situation militaire se fige, Sarrail ne disposant pas d’un rapport de force suffisant face aux Germano-Bulgares pour essayer d’enlever la décision.
Pour compliquer encore une situation qui est tout sauf simple, Sarrail intervient directement dans les affaires intérieures grecques, le gouvernement d’Athènes étant officiellement neutre dans le conflit. Si le roi est un partisan inconditionnel de cette neutralité, Venizelos, son Premier ministre, penche pour l’Entente. Aussi lorsque ce dernier, désavoué par son souverain, met sur pied un gouvernement insurrectionnel favorable à l’Entente, Sarrail s’empresse de le reconnaître et lui assure la protection de l’armée française, plaçant Paris devant le fait accompli. Enfin, pour justifier son manque d’ardeur opérationnelle, Sarrail n’a de cesse d’invoquer la menace sur ses arrières de l’armée grecque, alors qu’il l’a reléguée dans l’Attique et que chacun sait que depuis les guerres balkaniques des années 1912 et 1913, cette armée grecque ne dispose plus en fait d’aucune capacité opérationnelle sérieuse. Enfin, à la décharge de Sarrail, ses effectifs fondent du fait de la maladie, dysenterie et paludisme. Si Sarrail conserve un commandement que Joffre a tout fait pour lui retirer, c’est grâce à ses appuis politiques, notamment au sein du parti radical-socialiste. Cependant, même s’il est une figure de proue de ce parti qui sera au pouvoir durant toute la durée de la guerre, Clemenceau n’est pas accessible au clientélisme et, dès son arrivée au pouvoir, en novembre 1917, une de ses premières décisions consiste à relever Sarrail et à le remplacer par Guillaumat.
Ce dernier, qui avait succédé à Nivelle au commandement de la 2e armée, entreprend d’emblée une vaste réorganisation du commandement. Il sépare nettement l’armée française d’Orient qui reçoit un titulaire en propre ayant rang de commandant d’armée du commandement interallié du Front d’Orient dont il assume le commandement. Ayant su nouer des relations franches et cordiales avec les différents commandants des contingents interalliés, une normalisation s’opère très vite dans les relations à ce niveau. Ayant perçu toute l’importance du fait logistique pour un théâtre qui reçoit tous ses approvisionnements par la voie maritime, il porte tout son effort sur cette fonction. À l’issue, il peut rendre compte à Clemenceau qu’il se trouve en mesure de planifier une vaste opération interalliée pour laquelle il reçoit l’approbation de Paris.
Mais l’offensive allemande de mai 1918 sur le Chemin des Dames va contrarier ses efforts. Voulant éloigner Franchet d’Espèrey, commandant le groupe d’armées Nord qui a subi de plein fouet l’attaque allemande, Clemenceau l’envoie début juin à Salonique d’où il rappelle Guillaumat au cas où il se trouverait contraint de sacrifier Pétain. En fait, la situation s’étant rétablie, Guillaumat fera les frais de l’opération et c’est Franchet d’Espèrey qui en tirera toute la gloire.
Pendant que Guillaumat, depuis Paris, s’efforce d’obtenir l’accord des Alliés à l’offensive générale en Macédoine, sur place, Franchet d’Espèrey reprend la planification de son prédécesseur et l’élargit. Il vise la défaite des Germano-Bulgares en Macédoine, une exploitation immédiate en Serbie jusqu’au Danube, puis, dans une seconde phase, une exploitation profonde le long du Danube en direction de Vienne et du sud de l’Allemagne. Vision grandiose, mais qui lui est permise par les moyens dont il dispose, l’usure bulgare, la faiblesse congénitale autrichienne et le fait que le commandement allemand se trouve polarisé par le front français.
Les faits lui donneront raison. Après trois jours de préparation d’artillerie, les Alliés débouchent le 17 septembre. Évitant les fonds des vallées qui donnent directement accès au Nord, mais qui sont âprement défendues, Franchet d’Espèrey fait manœuvrer ses armées subordonnées par les hauts du terrain : surprenant ainsi les Germano-Bulgares, les Français (général Henrys) s’emparent de Prilep le 23 et d’Uskub le 29 septembre, après un audacieux raid de cavalerie. La rupture du front germano-bulgare est complète, ce qui contraint Sofia de demander un armistice. La route du Danube est ouverte. Quelques jours plus tard, Ferdinand de Bulgarie abdique. Sombre présage pour Guillaume II et Charles d’Autriche ! La Serbie est libérée, mais en entrant dans sa capitale, le prince Alexandre fait savoir à Franchet d’Espèrey que son but est atteint et qu’il n’ira pas plus loin, ce qui ne l’empêche pas d’annexer le Monténégro.
Le 11 novembre, au moment où le maréchal Foch signe l’armistice, l’armée d’Orient occupe la Hongrie et a progressé en Thrace en direction de Constantinople, l’Empire ottoman ayant signé un armistice à Moudros avec les Britanniques qui n’en ont averti Franchet d’Espèrey qu’in extremis. Le QG de l’armée d’Orient n’en est pas moins transféré à Constantinople où il ne commencera les premières mesures de démobilisation qu’à compter de la mi-juillet 1919.
Armée lointaine, oubliée, parfois même dénigrée, l’armée d’Orient a rompu le front Sud des Puissances centrales, a occupé trois capitales, Sofia, Vienne et Constantinople, tout en libérant la capitale serbe, Belgrade. ♦