Dans les secrets de la diplomatie vaticane
Dans les secrets de la diplomatie vaticane
Journaliste spécialiste du Vatican, Constance Colonna-Cesari, notamment l’auteure de Benoît XVI – Les clés d’une vie (Philippe Rey, 2005) a nourri son ouvrage par des entretiens avec des diplomates français et autres, tant à Rome qu’à Paris ou diverses capitales. Elle met en valeur l’équilibre délicat entre continuité et rupture de la diplomatie de François. En effet, le Vatican agit sur la longue durée. Le cap ne change pas avec les papes et le Saint-Siège garde la même boussole pour son action internationale, à savoir la paix, les droits de l’homme, la liberté religieuse et la protection des catholiques.
Mais le rapport au temps dans l’Église s’inscrit toujours dans l’antagonisme entre conservateurs et progressistes. Les premiers sont arrimés à l’inamovibilité de la doctrine et des rites, et les autres sont désireux d’ouverture. Ce choc des cultures traverse tous les ordres et toutes les congrégations dans le monde. Les institutions catholiques ne changent que par à-coups. Il a suffi de quelques semaines entre le 11 février 2013 (démission de Benoît XVI) et le 13 mars 2013 (élection de François) pour que tout avance d’un demi-siècle. Le temps de l’Église est tantôt figé, tantôt en mouvement et tourné vers l’avenir. Au-delà de ces idées reçues, Constance Colonna-Cesari éclaire la nouveauté radicale opérée par le pape François, qui tient à sa personnalité ouverte, joviale, allant spontanément vers les autres, surtout les faibles, les malades et les pauvres, et à la manière dont il se projette dans le monde. C’est celle d’un homme du Sud, qui ne craint pas de bouleverser des équilibres internationaux construits par des siècles d’histoire occidentale. Il a compris la mondialisation, le temps plus que jamais lié à l’espace. De ce point de vue, il est le pape de la périphérie : Amérique latine, Océanie, Asie, Afrique. Lorsqu’il ouvre le Jubilé de la miséricorde en République centrafricaine et proclame Bangui « capitale spirituelle du monde », il explose encore les lignes et s’oppose à la conception conservatrice d’une Rome éternelle inamovible. Il déplace le cœur de l’Église. François mène ses réformes à une cadence effrénée, comme s’il savait que son temps physique lui est compté. Cela déstabilise tout le monde ; c’est ce qu’il cherche.
Fort de son aura et de sa légitimité, il intervient de manière spectaculaire, en donnant un élan décisif là où on ne l’attend pas. En témoigne le rapprochement Cuba/États-Unis, raconté ici grâce à des sources diplomatiques nouvelles, son alliance avec le patriarche de Moscou, et sur le conflit en Syrie, la manière dont il mêle geste prophétique et calcul pragmatique. On comprend mieux ce qui peut guider ses interventions à l’encontre des pays d’Amérique latine (Bolivie, Colombie et Venezuela) et ses incursions dans la politique américaine. Le pape François ose. Il met au service de cette audace l’appareil diplomatique du Saint-Siège et son immense popularité. C’est que, si les valeurs prônées par le Saint-Siège n’ont pas bougé, le monde, lui, a profondément changé. Un monde traversé par les grandes inégalités, les migrations, les violences des métropoles,
les trafics de drogue mais aussi d’êtres humains, que ce pape « venu du bout du monde » invite l’Église catholique à évangéliser. Premier pape latino-américain de l’histoire, François a donné ainsi à l’Église catholique un nouveau souffle. Porté par une popularité exceptionnelle, il multiplie les discours et les gestes très médiatiques, mais il travaille aussi dans l’ombre à des actions souterraines et méconnues, celles qui occupent la diplomatie vaticane. Servie par des hommes d’excellence, cette dernière opère actuellement un remarquable retour en force. Le présent ouvrage lève le voile sur les objectifs et la stratégie d’une puissance spirituelle dotée de moyens temporels sans équivalent dans le monde. L’un des chapitres clefs est lorsqu’elle révèle les dessous du spectaculaire succès de la médiation secrète sur le rapprochement entre Cuba et les États-Unis annoncé le 17 décembre 2014, et le nouveau pacte scellé avec l’Amérique démocrate de Barack Obama. À Cuba, le 19 décembre 2014, deux jours après l’annonce du rétablissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba. À force de traquer, à La Havane, des personnalités qui me fuient, je finis par obtenir le fin mot de l’affaire : tout le scénario de cette opération secrète menée de main de maître par l’Église à partir de l’audience de Barack Obama par le pape, neuf mois plus tôt. J’obtiens ainsi le témoignage de l’ambassadeur de France, unique confident du Cardinal Ortega, l’Archevêque de La Havane, qui m’explique le rôle d’intermédiaire joué par celui-ci dans ce réchauffement : remise de lettres papales secrètes, voyages inventés pour couvrir ses déplacements, entrée clandestine dans le bureau ovale… Elle éclaire aussi les enjeux d’une position tranchée sur le conflit israélo-palestinien, les raisons d’une opposition à une intervention militaire dans la guerre civile en Syrie et, au contraire, l’évolution vers un recours aux armes pour la défense des minorités victimes de l’État islamique comme des autres cibles de cette « troisième guerre mondiale en morceaux » qui frappe partout dans le monde, selon le pape. Mais de la crise russo-ukrainienne aux défis posés à l’Union européenne, du Venezuela post-Chavez, jusqu’à l’Afrique et plus encore la Chine, l’auteure démontre que la diplomatie vaticane sait aussi se faire Realpolitik… François, qui se réclame de François d’Assise, est le premier pape à avoir fait de l’écologie, de la défense de l’environnement, de la lutte contre le réchauffement climatique plus qu’un thème de prédilection, la base de son apostolat, que l’on retrouve, dans la forme simplifiée, un toit, une terre, un travail. Certes, il aime les formules frappantes, comme la « troisième guerre en morceaux », ou « l’argent fumier du diable », c’est pour se faire entendre du plus grand nombre de la file des fidèles et d’interpeller les riches et puissants pour qu’ils contribuent davantage au bien commun de l’humanité.
Le Vatican agit sur le temps long, il dispose de la vie éternelle… « Rien ne presse du côté du ciel », dit l’adage ! Il a toujours privilégié les petits pas sans se synchroniser avec la diplomatie d’aucun autre État. On pourrait prendre de nombreux exemples. Dernièrement, la rencontre entre le pape François et le patriarche orthodoxe Kirill, le dignitaire de l’Église orthodoxe russe, est le résultat des jalons posés depuis des siècles. Et comment en serait-il autrement puisqu’il s’agit de réparer les conséquences du Grand schisme de 1054 ! L’œcuménisme est un instrument de diplomatie permettant d’assurer la protection des chrétiens d’Orient, objectif inscrit dans l’ADN de Rome, quitte, d’ailleurs, à sacrifier les intérêts d’autres catholiques, par exemple ceux des « Uniates » en Ukraine. Quand assisterons-nous à des résultats concrets dans la politique de ces régions ? C’est impossible à dire, la temporalité de Rome n’est pas la même que celle des États. ♦