L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a bouleversé la géopolitique de la région et le plan de modernisation de la flotte de la mer Noire échafaudé en 2000. La Russie a adapté son plan d’armement et son outil naval aux réalités post-annexion et poursuit la mise en œuvre d’une stratégie de déni d’accès.
La stratégie maritime russe en mer Noire
Russian Maritime Strategy in the Black Sea
Russia’s annexation of the Crimea in 2014 overturned the geopolitics of the region and upset the modernisation plan for the Black Sea fleet that had been started in 2000. Russia has adapted its plans for rearmament and for the fleet in light of the current situation and is pursuing a strategy of access denial.
L’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 a bouleversé non seulement la géopolitique de la région pontique (1), mais aussi le plan de modernisation de la flotte de la mer Noire échafaudé par Moscou à la fin des années 2000. La pleine possession de la péninsule et de ses nombreuses infrastructures militaires, la dégradation des relations avec la communauté euro-atlantique (2) et une pression économique accrue sur les finances du pays constituent des paramètres qui n’existaient pas lorsque la Russie a établi le programme d’armement 2011-2020 (3). Le Kremlin a ainsi été contraint de « revoir sa copie », d’autant plus qu’arrivé à mi-parcours de sa réalisation, des retards et des insuffisances d’ordre technologique et industriel difficilement surmontables dans les délais impartis sont apparus. Dans le bassin pontique, la flotte de la mer Noire doit contribuer de manière déterminante au dispositif de fortification mis en œuvre par Moscou, dont la réalisation s’est accélérée depuis 2014. Les derniers documents stratégiques publiés par la Russie – la Nouvelle stratégie de sécurité nationale de 2015 et le Concept de politique étrangère de 2016 – mettent en effet en exergue les défis soulevés en matière sécuritaire par les tensions apparues au lendemain de la crise ukrainienne dans les relations russo-occidentales. Ce phénomène de militarisation ne concerne cependant pas exclusivement le flanc méridional russe. La façade arctique et, dans une moindre mesure, l’Extrême-Orient font aussi l’objet d’une fortification militaire.
La perception russe de la menace en mer Noire
Vu de Moscou, l’espace mer Noire se caractérise par une forte perméabilité à toute une série de facteurs considérés comme étant générateurs de troubles. La région pontique est ainsi perçue comme étant particulièrement vulnérable, d’une part à la pression exercée par la communauté euro-atlantique, d’autre part aux menaces qui émanent du Levant et du Moyen-Orient. Trois principaux enjeux structurent la vision russe de l’aire pontique. En premier lieu, la compétition pour l’influence – notamment dans les domaines énergétique, sécuritaire et politique, avec des projets d’intégration concurrents – à laquelle se livrent des acteurs régionaux (Russie, Turquie, Otan, Union européenne) et des acteurs extrarégionaux (États-Unis) selon une logique de jeu à somme nulle (4). La construction du bouclier antimissiles par Washington, dont des éléments se trouvent en Turquie (radar) et en Roumanie (missiles intercepteurs), continue de faire l’objet de vives critiques de la part de Moscou, tout comme la présence navale de l’Otan en mer Noire, clairement considérée comme hostile par les Russes. Puis viennent les enjeux énergétiques, dans la mesure où le bassin pontique est un corridor pétro-gazier majeur pour la Russie, avec le terminal de Novorossiisk et les projets de gazoducs existants (Blue Stream) et à venir (Turkish Stream). Enfin, la région de la mer Noire reste un carrefour pour les menaces transnationales (trafic d’armes et de stupéfiants, prolifération des composants d’armes de destruction massive, terrorisme) (5). S’ajoute à cette liste de défis la guerre en Ukraine qui, depuis 2014, constitue une source d’instabilité de premier ordre à la charnière des flancs méridional et occidental russes. Enfin, Moscou considère la Turquie à travers le prisme de la Convention de Montreux (1936) plus qu’à travers celui de l’Otan. La question des détroits constitue un point de convergence entre Russes et Turcs, qui tiennent au respect du texte de Montreux. Les uns et les autres voient d’un mauvais œil l’accroissement de l’activité navale de l’Otan en mer Noire qui tend à remettre en question le condominium sécuritaire qu’ils ont de facto établi sur le bassin pontique depuis 1991.
L’évolution du contexte stratégique pontique a conduit la Russie à poursuivre et accélérer le développement d’infrastructures militaires. En 2016, le ministère russe de la Défense a déboursé près de 150 milliards de roubles (environ 2 milliards d’euros) rien que pour la modernisation et la création d’unités dans les districts militaires Ouest et Sud (6). Moscou a par ailleurs adapté son programme de modernisation de la flotte de la mer Noire aux nouvelles réalités économiques et aux carences industrielles et technologiques apparues au lendemain de la rupture de la coopération militaro-technique avec l’Ukraine et les industriels occidentaux.
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