Le déni d’accès, concept neuf décrivant une réalité ancienne, est la façon dont des États (la Russie en fait partie) exploitent leur arsenal et leurs technologies pour potentiellement verrouiller l’accès à leur espace immédiat. Bien qu’il s’agisse d’une stratégie défensive, sa nature duale pourrait conduire à un risque d’escalade.
« Qui s’y frotte s’y pique » : la Russie et le déni d’accès (A2/AD)
Touch Me and I Sting: Russia and Access Denial (A2/AD)
Access denial is a new term to describe a well-established strategy: it is the manner by which countries—Russia included—use their arsenals and technology to block access to their own space if possible. Whilst it is a defensive strategy, its very nature risks leading to escalation.
Depuis son apparition dans les années 2000 – dans le contexte géopolitique et stratégique très particulier d’une superpuissance américaine s’interrogeant sur sa capacité à répondre à des crises émergentes – la notion de déni d’accès (connu sous son acronyme anglais d’A2/AD pour anti-access/area denial) n’a cessé de s’élargir. Conçu par les états-majors de l’armée de l’air et de la marine américaines pour définir leur vision de la stratégie militaire chinoise en mer de Chine du Sud, le concept a depuis trouvé à s’employer pour caractériser la manière dont d’autres acteurs étatiques peuvent déployer une stratégie globale visant à interdire l’accès à leur territoire voire à sa périphérie en cas de conflit. De façon évidente, le déni d’accès peut en quelque sorte servir à définir une des voies que la Russie explore, qui en outre semble en prise avec sa culture stratégique, quitte à faire peser sur l’Europe de nouveaux risques (1).
La dernière mouture de la stratégie de sécurité nationale signée par Vladimir Poutine le 31 décembre 2015 insiste sur la nécessité d’assurer l’indépendance et l’intégrité territoriale et nationale de la Fédération de Russie, en s’appuyant sur les moyens participant à sa dissuasion stratégique. Dans un contexte international que Moscou analyse comme de plus en plus menaçant, où les rapports Est-Ouest sont de plus en plus tendus et où la rhétorique officielle dénonce l’expansion rampante de l’Otan, la défense du territoire et des intérêts vitaux prend de nouvelles formes. Le déni d’accès offre en cela une perspective et un angle de vue particulièrement enrichissant puisqu’au-delà de l’aspect à première vue défensif, on y voit en action les doctrines et les matériels russes. L’étude de l’histoire, des évolutions et des pratiques en termes d’A2/AD n’en renforce que davantage l’impression d’une politique stratégique russe sui generis.
Une pratique défensive ancienne
Si l’A2/AD est un concept relativement récent, les réalités qu’il renferme sont, elles, anciennes. Une des difficultés tient au langage puisque la langue française embrasse dans un seul terme ce que les Anglo-Saxons divisent entre le déni d’accès au sens strict (anti-access), qui interdit à une force de se déployer jusqu’à un théâtre d’opérations, et l’interdiction de zone (area denial), qui se concentre sur les actions à entreprendre pour limiter la liberté de manœuvre de la force adverse lorsqu’elle est sur le point de se déployer sur ce même théâtre des opérations. Là où la première notion se conçoit à l’échelle stratégique et/ou opérationnelle, la seconde est à considérer sur un plan proprement tactique (2). Dans tous les cas, et quelle que soit l’échelle, le déni d’accès coiffe toutes les stratégies qui empêchent un adversaire d’employer ses forces dans un espace ou sur un territoire défini. Il s’agit donc d’une stratégie défensive qui vise à repousser toute force ennemie, à courte, moyenne et longue distance, en employant tous les moyens possibles.
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