La Russie a organisé sa politique de défense dans le Caucase du Sud, théâtre de guerres depuis la chute de l’URSS en deux temps : les Russes sont passés d’une position dominante mais fragile (1991-2008) à un retour du statut de puissance à l’aide de ses bases militaires dans la région, mais agressive après la guerre contre la Géorgie.
La présence militaire russe dans le Caucase du Sud
Russian Military Presence in the Southern Caucasus
The southern Caucasus has been a theatre of war since the collapse of the USSR. Russian defence policy in the area has evolved in two stages from a dominant, if fragile, position in the years 1991 to 2008 back to a powerful and aggressive position since the war against Georgia, supported by its military bases in the region.
La présence militaire de la Russie dans le Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie) ne peut être dissociée de la chute de l’URSS en 1991 et de la réaffirmation, à partir des années 2000, d’une stratégie d’influence de la Fédération de Russie sur son voisinage direct entre la mer Noire et la mer Caspienne. Héritière d’une mémoire des campagnes caucasiennes des Tsars encore très forte à Moscou, la nouvelle configuration militaire que la Russie a déployée dans cet espace stratégique a sensiblement changé par rapport à la période de la guerre froide, lorsque l’URSS ne constituait qu’un seul État souverain, même si certaines finalités de la présence militaire russe dans le Caucase perdurent (surveillance de la Turquie et, dans une moindre mesure, de l’Iran). En 2016, en Transcaucasie, l’armée russe est aussi engagée dans la lutte contre le terrorisme, la sécurité des frontières nationales, le développement de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) (1), et l’organisation des bases dont elle dispose dans la région. La réaffirmation militaire régionale de la Russie s’est en effet opérée dans un contexte chaotique – guerres, montée du terrorisme, révolutions, crises socio-économiques – ayant contribué à redistribuer les cartes stratégiques russes.
Un découpage de la période post-soviétique (1991-2017) en deux séquences semble pertinent pour comprendre ce contexte d’instabilité chronique et l’évolution parallèle des ambitions russes : de la chute de l’URSS à la « guerre des Cinq jours » en 2008, puis de la défaite de la Géorgie à nos jours. Comment, en l’espace de vingt-cinq ans, la Russie est-elle passée d’une position dominante mais fragile au statut de puissance restaurée mais agressive ? L’analyse, qui tiendra compte des doctrines de sécurité nationale des trois États sud-caucasiens, de la nature de leurs relations bilatérales avec Moscou et de la stratégie militaire de la Russie, fait apparaître trois dynamiques distinctes : entre la Russie et l’Arménie, une dynamique de coopération et de complémentarité des intérêts ; entre la Russie et la Géorgie, une dynamique de confrontation des intérêts ; et, entre la Russie et l’Azerbaïdjan, une dynamique de confusion des intérêts.
Une position dominante, mais fragile (1991-2008)
Dès l’éclatement de l’URSS, la Russie se trouve confrontée aux guerres cousines (2) qui sévissent alors dans le Caucase du Sud. Outre les deux guerres qu’elle a menées en Tchétchénie (1991-1996 et 1999-2004) et qui ont affecté la Géorgie et l’Azerbaïdjan, la Russie s’est aussi investie dans les guerres d’Abkhazie (1990-1993) et d’Ossétie du Sud contre la Géorgie (1990-1993) et, dans une moindre mesure, dans celle du Haut-Karabakh entre Arméniens et Azerbaïdjanais (1990-1994) (3). Les indépendances des trois républiques caucasiennes l’ont contrainte à actualiser son agenda militaire régional en tenant compte de sa nouvelle position géopolitique : une hégémonie fragilisée par les suites de la disparition de l’Union soviétique. Il lui faut créer les contours d’un nouvel espace de défense commun – d’où la signature du Traité de sécurité collective (TSC) à Tachkent en 1992, qui a cédé la place à l’OTSC en 2002. Dans le Caucase du Sud, il s’agit de négocier avec les trois États un nouveau statut pour les bases militaires situées sur leur territoire. Cela est d’autant plus important que ces derniers s’engagent, en 1994, dans le Partenariat pour la paix de l’Otan, symbole tout à la fois de leur indépendance, de leur quête d’un nouvel horizon en matière de défense et de sécurité, et du reflux géopolitique russe. Dès lors, comment s’organisent les forces russes dans la région ?
Il reste 84 % de l'article à lire
Plan de l'article