Qualifiée « d’État dans l’État » ou « d’étranger de l’intérieur », la Tchétchénie suscite des interrogations quant à la menace de sécurité qu’elle pourrait constituer, malgré son régime loyal à Moscou. L’engagement russe en Syrie et en Ukraine pourrait faire évoluer les positions d’une société exsangue par des années de pacification violente.
La Tchétchénie de Kadyrov, atout ou menace pour l’État russe ?
The Chechen Republic under Kadyrov: an Asset or a Liability for the Russian State?
The Chechen Republic, sometimes referred to as a state within a state, or as the foreigner within, raises questions on the threat to security that it could pose despite its loyalty to Moscow. Russian commitments in Syria and Ukraine could affect the views of a society exhausted by years of violent pacification.
Issue d’un projet politique formulé par Moscou dès les premiers mois de la seconde guerre de Tchétchénie, la « tchétchénisation » du conflit – par délégation des fonctions de maintien de l’ordre à des forces tchétchènes loyales au pouvoir fédéral – avait pour objectif d’assurer la réintégration et l’ancrage durable de la république au sein de la Fédération de Russie, après deux guerres d’une extrême violence (1994-1996, 1999-2009 (1)) (2). La très large autonomie dont bénéficie cette république (3), dirigée d’une main de fer par Ramzan Kadyrov, dans la conduite de sa politique interne, montre parfois les limites du pacte originel conclu entre Moscou et Grozny. La Tchétchénie est qualifiée par certains observateurs d’« étranger de l’intérieur » (4), et ses dirigeants semblent à certains égards vouloir s’affranchir des limites dans lesquelles son démiurge espérait la cantonner.
De 2004 à 2015, les autorités tchétchènes prorusses ont mis en place une verticale du pouvoir subordonnant progressivement l’ensemble des groupes armés au pouvoir personnel de R. Kadyrov, tout en les incorporant aux structures de force légales de la Fédération de Russie. Le modèle de la « tchétchénisation », pensé par Moscou comme gestion « idéale » de la situation de « post-guerre », résistera-t-il dans la durée ? La perception de la Tchétchénie comme menace potentielle pour la sécurité russe a recommencé à poindre à partir de 2015. Alors que la société tchétchène est réduite au silence par les traumatismes des deux guerres et la violence de l’après-guerre, de nouveaux fronts conflictuels peuvent fournir autant d’occasions de réengagement pour les individus dans l’action armée.
La Tchétchénie, un État dans l’État ?
L’expression « État dans l’État » pour qualifier la Tchétchénie est devenue depuis plusieurs années un lieu commun, tant pour ceux qui s’accommodent de cette délégation du monopole de la violence que pour ceux qui, au contraire, mettent l’accent sur le défi, voire la menace pour la sécurité nationale russe que constitue cette situation. C’est d’ailleurs en ces termes qu’Ilia Iachine a qualifié la situation dans un rapport publié un an après la mort de l’opposant Boris Nemtsov, dont l’assassinat en février 2015 a été imputé à des hommes réputés proches de R. Kadyrov (5).
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