War With Russia: An Urgent Warning from Senior Military Command–A Novel
War With Russia: An Urgent Warning from Senior Military Command–A Novel
La pratique du roman d’anticipation n’est pas neuve, et ces dernières années ont vu fleurir sur les comptoirs des librairies des ouvrages inégaux sur la forme que prendrait une guerre future. Le livre qu’a publié à la fin de l’an passé David Shirreff, général récemment retraité de l’armée britannique après avoir occupé de hautes et brillantes responsabilités – et la dernière comme Deputy SACEUR, c’est-à-dire un des plus hauts responsables de l’Otan – laisse une impression mitigée.
Le titre est sans ambages et décrit un affrontement conventionnel entre la Russie et l’Otan en 2017. Dans un style assez percutant – voire colérique – et des chapitres assez courts, l’auteur nous conduit des forêts lituaniennes aux couloirs de la Maison-Blanche en passant par les cercles du pouvoir russes. Jouant des échelles, du tactique au stratégique, le lecteur vit autant les combats aériens, navals et terrestres qu’il assiste aux débats diplomatiques feutrés du Quartier général de l’Otan. Le scénario est simple mais plausible ; englué dans une conjoncture économique difficile et sans parvenir à résoudre la situation dans le Donbass, le Président russe – jamais nommé mais on songe à Poutine – emploie un prétexte pour ordonner à ses troupes de passer à l’attaque, s’emparant de l’Ukraine puis, dans la foulée, d’États baltes fortement déstabilisés par le succès de manœuvres hybrides. On ne décrira pas les péripéties mais devant une Europe aux abonnés absents et une Otan divisée sur les choix à faire, le salut vient de la coopération anglo-américaine qui rétablit le statu quo.
Pourtant, Shirreff est moins romancier qu’ancien militaire. Sa plume et la liberté qu’autorise la fiction lui servent à dénoncer certaines réalités peu plaisantes. Prophète en son pays, sa première victime est d’abord l’état calamiteux des forces armées britanniques : il faut lire le chapitre où le nouveau chef d’état-major de l’armée de Sa Majesté décrit dans un style « à la Patton » les coupes budgétaires, les choix calamiteux et les erreurs conduisant à faire de ce qui fut la première armée en Europe un tigre de papier. Mais les alliés en prennent aussi pour leur grade, et notamment la France, clouée l’arme au pied par l’opération Sentinelle. Cela n’interdit pas d’autres lieux communs, sur la puissance américaine, l’héroïsme des soldats baltes – il est vrai qu’une partie non négligeable de l’action se déroule en Lituanie – ou la fascination pour les forces spéciales.
Le second intérêt du livre tient dans la façon dont Shirreff met en mots la complexité du processus décisionnel au sein de l’Otan. On ressent la frustration du militaire – et ici, l’ancien DSACEUR pointe sous le romancier – forcé d’accepter les subtilités diplomatiques du Conseil de l’Atlantique Nord. Les séances où est soulevée la question de l’article 5 (sur la défense collective qui forme la raison d’être de l’Alliance) illustrent les tensions qui traversent encore aujourd’hui les nations alliées – certaines faisant le choix de ne pas froisser la Russie quand d’autres ne cachent clairement pas leur lien avec Moscou. Mais Shirreff va plus loin. Son évaluation de l’Otan est celle d’un outil inadapté, dont les déclarations – et notamment faite au Pays de Galles en 2014 – ne sont guère suivies d’effet, et dont les principales réalisations, à l’instar de sa VJTF (la force d’action rapide de l’Alliance), n’ont pas de consistance militaire. Et quand l’Otan se décide finalement à partir en guerre, c’est cahin-caha, avec des unités qui ne se connaissent pas, n’ont jamais travaillé ensemble et dont les cultures militaires et stratégiques sont à l’opposé.
Qui connaît un peu l’Otan trouvera certains passages savoureux, notamment dans le choix des personnages. SACEUR emprunte énormément à l’amiral Stavridis, et de nombreux personnages secondaires ressemblent à certains officiers qu’on aurait pu croiser dans les couloirs de SHAPE ou de Bruxelles. Mais on touche là aux limites de l’exercice. D’abord par la tendance exagérée à peindre en noir et blanc des militaires professionnels soumis au diktat de politiques aux vues court-termistes, servis par des généraux sans scrupule et prêts à toutes les concessions. Ensuite, l’ouvrage a été composé en 2016 et cela se ressent ; si l’on y trouve des éléments d’actualité sur le Brexit, l’Iran et la situation internationale, il y a des limites à l’anticipation. La présidente américaine de fiction n’est pas Trump, dont la politique étrangère est sujette à interrogation, notamment vis-à-vis de la Russie et de l’Otan, qualifié à quelques mois d’écart d’« obsolète » puis de « rempart pour la paix internationale et la sécurité ».
En fait, War with Russia fait penser à un remake en demi-teinte de Tempête Rouge de Tom Clancy paru en 1984. Mais Shirreff ne cherche pas seulement à distraire ; il se prend sans doute au jeu du sonneur d’alerte et il souligne certaines vérités qu’il ne faut sans doute pas cacher sur l’état des forces armées et le rôle de l’Otan. Mais à hésiter entre roman et pamphlet, il n’atteint pas son but et laisse le lecteur sur sa faim. ♦