Les révolutions russes
Les révolutions russes
Le centenaire de 1917 est aussi celui des révolutions russes dont les conséquences ont été majeures et se font encore sentir aujourd’hui. Ainsi, il n’est pas possible d’analyser la politique actuelle de Moscou sans se référer à cette histoire séculaire complexe et dramatique. C’est l’objet du livre de Nicolas Werth permettant de retracer cette séquence révolutionnaire de 1917 qui a définitivement transformé et bouleversé non seulement la Russie mais aussi le reste du monde.
Il est vrai que la littérature sur ce sujet est plus qu’abondante avec un écueil majeur qui a été la relecture idéologique de cette période, en particulier par le pouvoir soviétique.
L’auteur nous propose ainsi de replacer ces événements dans un contexte plus large, permettant de comprendre comment la situation politique s’est effondrée en quelques mois amenant non seulement à un changement de régime mais aussi à un changement économique et sociétal sans précédent à l’époque. C’est la conclusion de nombreux échecs successifs sur fond de guerre contre l’Allemagne où les défaites des troupes impériales russes n’ont cessé d’affaiblir le pouvoir du Tsar Nicolas II. Le régime tsariste est ainsi discrédité et affaibli, incapable à la fois de donner une impulsion militaire et de répondre aux aspirations d’une population en déshérence. C’est aussi l’affrontement des oppositions, avec une partie souhaitant une démocratisation libérale et une autre, internationaliste imprégnée de doctrine marxiste.
La révolution de Février est rapide et brutale. Elle aboutit à la fin de la dynastie séculaire des Romanov sans la moindre nostalgie, traduisant bien le discrédit du régime. Mais dès lors, de nombreux antagonismes vont surgir entre le bloc démocratique et les Bolcheviks avec l’irruption incontrôlée des Soviets dont le mode de fonctionnement va paralyser celui des nouvelles institutions et aggraver progressivement la situation.
La question de la guerre contre le Reich allemand est alors centrale avec la ferme volonté des Soviets d’arrêter la guerre à n’importe quel prix politique. C’est le choix intransigeant de Lénine qui peut revenir en Russie avec l’aide de l’Allemagne et qui a vécu dix-sept ans à l’étranger, détaché des réalités de la vie quotidienne des Russes.
Le rythme des crises s’est ainsi accéléré entraînant un accroissement des blocages et une violence permanente sur fond de grèves, de jacqueries paysannes, de désertions, sans oublier les minorités remettant en cause leur appartenance à l’espace russe comme la Pologne ou la Finlande et les régions baltes.
À la bonne volonté des uns s’opposent le dogmatisme et la détermination des Bolcheviks conduits par Lénine. L’échec était inévitable et en octobre, la deuxième révolution a lieu, emportant sur son passage l’expérience démocratique initiée en février et instaurant un régime dictatorial basé sur la terreur de classe. La prise du pouvoir par Lénine a également comme conséquence la signature du Traité de paix de Brest-Litovsk le 3 mars 1918 avec le Reich allemand, aboutissant à une perte d’environ 800 000 km² sur les marges occidentales permettant dès lors l’indépendance de la Pologne, de la Finlande, des États baltes et de l’Ukraine, certains de ces pays retombant sous la coupe soviétique en 1939. Les séquelles restent aujourd’hui très vives et puisent leurs racines dans ces épisodes.
Le dernier chapitre porte sur les débats et controverses autour des révolutions russes avec bien sûr des approches qui ont été contradictoires depuis 1917. Ainsi, l’historiographie soviétique a totalement occulté les événements de Février, tandis que l’historiographie libérale soulignait l’importance du fait démocratique avant Octobre. Un troisième courant dit révisionniste constate les échecs et la culture de violence qui ne pouvait que déboucher sur octobre tant les antagonismes étaient forts. Nicolas Werth rappelle également la différence qui a pu exister entre le bolchevisme des tranchées – celui des soldats essentiellement issu de la paysannerie – et celui des intellectuels – urbains et internationalistes.
Ce qui reste étonnant, c’est que le mythe d’Octobre a longtemps perduré, s’inscrivant dans la lignée de la Révolution française, aux bénéfices des Bolcheviks qui ont pu ainsi imposer leurs choix politiques tant à l’URSS qu’aux différents partis à l’étranger se réclamant du marxisme-léninisme.
Nicolas Werth nous permet ainsi de mieux comprendre cet enchaînement implacable de bouleversements de la Russie et donc de mieux appréhender les tensions actuelles, tant 1917 a marqué définitivement non seulement l’histoire du peuple russe mais aussi le monde entier. ♦