À l’heure où la revue stratégique doit à la fois proposer une nouvelle lecture des menaces, définir notre niveau d’ambition et fixer un modèle pour nos forces, une réflexion globale sur un concept de défense adapté à notre siècle est indispensable, quitte à remettre en causes certains principes aujourd’hui obsolètes.
Avant-propos - Mondialisation et sécurité, pour un concept de défense du XXIe siècle
Foreword—Globalisation and Security—in Search of a Concept for Defence in the Twenty-First Century
A modern strategic review must necessarily offer a new perspective on threats. It is therefore essential to take a broad look at a concept for defence adapted to the current century if we are to define an appropriate level of ambition and to establish the appropriate model for our forces: this will mean calling into question a number of now-obsolete principles.
La géographie commande et explique l’histoire, notamment celle de la conflictualité qui en constitue la trame. C’est vrai pour n’importe quel pays, mais plus encore pour la France dont la position extrême sur le continent eurasiatique se combine avec son tropisme méditerranéen. Ainsi la France s’est-elle trouvée étroitement mêlée depuis ses origines aussi bien aux problèmes du continent européen qu’à ceux de l’outremer. Mais en permanence, depuis bientôt deux mille ans, pour des raisons de continuité territoriale et parce que les Romains nous ont légué le limes rhénan, seconde frontière de l’empire après celle de l’Elbe, les responsables français ont-ils été absorbés par la défense du « pré carré » européen, cet hexagone dont les richesses naturelles et les accès maritimes étaient enviés également par nos voisins anglo-saxons et germaniques.
Il est arrivé pourtant, à plusieurs reprises, aux XVIIe et XIXe siècles, sans oublier ni Saint-Louis dans la Croisade, ni Bonaparte en Égypte, que nos énergies se soient orientées au sud de cette Méditerranée que les Romains appelaient mare nostrum. Les deux empires coloniaux ainsi constitués ont été dissous, le premier au Traité de Paris en 1763 au profit de nos rivaux britanniques, le second en 1960 lors de la vague de décolonisation. Parce que, à ces époques, soit nos opérations ultramarines étaient tenues en échec, soit nos préoccupations européennes étaient redevenues majeures, et aussi parce que nos « partenaires » préféraient nous savoir confinés sur le continent, la France a dû se recentrer sur ses intérêts vitaux. La grande affaire militaire française au cours des siècles, et encore tout récemment dans la guerre froide, a été de défendre le territoire des agressions européennes en provenance du côté oriental du Rhin.
Notre système de défense a hérité des particularismes de cette conflictualité Est-Ouest et, en ramenant en métropole les 500 000 hommes qui constituaient l’armée présente en Algérie en 1962, le général de Gaulle n’a fait que replacer la France dans sa posture historique, mais avec les moyens de l’époque et dans un contexte élargi de guerre froide mondiale. C’est ainsi qu’il a « inventé » un concept de défense moderne et original, celui d’une dissuasion du faible au fort face aux deux Grands, dissuasion nucléaire crédibilisée et encadrée par des forces dites conventionnelles servies par la conscription. Ce concept osé mais génial a assuré à la France, en même temps qu’un système de défense efficace, une position mondiale exceptionnelle, une sorte de coin entre les deux Grands et une place éminente au Conseil de sécurité des Nations unies. Mis sur pied dans les années 1960 par deux lois de programme, l’armement nucléaire a été valorisé par des forces conventionnelles interarmées pour constituer dès la décennie suivante un appareil militaire indépendant, cohérent et significatif. Outre-mer, le dispositif militaire était maintenu, mais allégé, avec des forces de présence dans les territoires français, quelques bases dans les pays avec lesquels nous avions des accords de défense, de nombreuses missions de coopération en Afrique et une capacité de projection limitée aux unités Guépard émanant de la division parachutiste.
Il reste 93 % de l'article à lire