Les droits de l’Homme dans l’islam shi’ite
Les droits de l’Homme dans l’islam shi’ite
L’article 55, alinéa C de la Charte des Nations unies demande à l’organisation internationale d’assurer le respect universel et effectif des droits de l’homme. C’est le fondement juridique de nombreuses interventions occidentales. Cette obligation favorise-t-elle une antinomie ou une concordance entre le droit islamique et le droit international des droits de l’Homme et même entre l’Islam et la modernité. Telle est la question que tente de résoudre Constance Arminjon Hachem dont on connaît la thèse qui fait autorité sur chiisme et État dans un livre érudit qui analyse le passé et le présent de l’Islam.
Si la déclaration universelle des Nations unies, du 10 novembre 1948, est bien connue, qui a entendu parler de la proclamation au Caire, le 5 août 1990, d’une déclaration sur les droits de l’Homme en islam, préparée à Téhéran et adoptée par la Conférence islamique ? Sans parler de la déclaration islamique proclamée à l’UNESCO en 1981 et de la mention par la Charte arabe sur les droits de l’Homme en 2004. À vrai dire, nombreux sont les religieux qui se sont interrogés sur l’autonomie ou la compatibilité entre le droit islamique et un « droit moderne d’origine étrangère ». Constance Arminjon Hachem nous le fait découvrir par la face chiite en se réservant de traiter ultérieurement du point de vue sunnite. Elle se livre d’abord à une analyse succincte des codes ottomans qui ont présidé, dès le milieu du XIXe siècle, à une modernisation du droit de l’Islam avec une série de codes réunis sous le nom de Majella, sorte de revue des règles de justice, qui s’est poursuivie avec les premières Constitution, en Tunisie en 1861 et en 1878 à Istanbul, sous la pression d’une forte influence française.
La discussion se concentre sur l’Iran où elle devient de nature constitutionnelle : comment accorder le droit religieux et le droit du peuple ? La question prend un tour dramatique lors de l’adoption de la Constitution de 1906, lorsque s’établit la dynastie Qadjar. Le Grand Ayatollah Nouri définit la position du clergé : pourquoi faut-il une constitution, c’est-à-dire une loi des hommes, puisque nous avons déjà la loi de Dieu ? L’ayatollah sera exécuté. On peut donc concevoir que le débat a été difficile lors de l’élaboration de la constitution iranienne en 1979 après le départ du Shah et le retour de Khomeiny. Ce dernier avait restauré la guidance (et donc la souveraineté) du juriste religieux. Comment concilier ce dualisme juridique ? D’un côté, l’article 5 affirme l’autorité du commandement du juriste religieux ; de l’autre, l’article 6 reconnaît que les affaires du pays sont administrées en s’appuyant sur le suffrage universel qui régit également l’élection du président de la république et de l’Assemblée islamique dans un texte inspiré de Montesquieu. Apparemment, la contradiction est manifeste, aussi bien dans les principes que dans la réalité. Mais, les penseurs iraniens ont des ressources d’intelligence insoupçonnées. Pour les principes, c’est simple : ils font admettre la règle de la « légitimité divine populaire », entendez que les hommes étant soumis à Dieu qui régit toute chose, il en résulte que la population est musulmane chiite et agit en tant que telle. Pour la pratique, une série de Conseils (Conseils des gardiens de la révolution et notamment celui du Guide) permet au Guide religieux de reprendre la main en toutes circonstances et contre toute autorité, y compris celle du Président. Tout change s’il est admis qu’il y a des droits de Dieu sur l’humanité. Cette combinaison de démocratie et de pouvoir clérical fait-elle une place aux droits de l’homme ? Constance Arminjon Hachem étudie longuement le problème chez les plus grands Ayatollah, Montazeri et Nae’ni notamment. Montazeri reprend la sourate 256 du Coran : « Nulle contrainte en religion », mais se réfère aussi à une autre sourate indiquant que les non musulmans ne peuvent avoir autorité sur les musulmans. En fait, Montazeri réduit les droits de l’Homme à l’action des politiques étrangères des grandes puissances. À partir du moment où la tradition est réaffirmée, il y a certes des variations : notamment avec l’ayatollah Nae’ni qui traite longuement des droits de l’Homme. L’auteur fait une place plus importante à l’historicité, à la raison. Mais ces courants de pensée ne vont pas jusqu’à chercher à redéfinir les approches philosophiques et théologiques des droits de l’homme.
La dernière partie du livre est la plus originale. De nouveaux noms, des réflexions nouvelles apparaissent. Est-ce là le signe avant-coureur d’un changement qui rapprocherait l’islam chiite de la modernité ? Distinguons ceux qui ont cherché à fonder une métaphysique des droits de l’homme mais qui estiment que les droits établis par Dieu ont une supériorité comme Javadi Amoli ou Hosayni et abordons le cœur du sujet : la déconstruction du système juridique classique avec Kadivar et Shabestari, tous deux étudiés en détail par l’auteur. Notons que le premier a vécu aux États-Unis tandis que le second a étudié en Allemagne les philosophes des Lumières et notamment Kant. Est-on sur le seuil d’un nouvel Islam que Kadivar définit de façon ambitieuse comme le passage d’un « Islam historique à un Islam spirituel » ? Ce pas important a été franchi avec la démonstration de l’historicité des textes, condition d’une déconstruction du droit islamique classique. Javadi Amoli, Hussein Hosayni s’emploient à cette fin. Les promesses d’une transformation apparaissent toutefois dans les dernières années de Kadivar et de Shabestari, tous deux au rang secondaire d’hoddjatoleslam, sorte d’aide d’ayatollah. La laïcité n’est pas négligée qui permet de définir les droits de l’Homme indépendants de la religion. Les valeurs religieuses pourraient-elles, en Islam, relever de la sphère privée ? Shabestari n’est pas loin de cette réflexion. Une libération de la pensée qui conduit, c’est le cas dans la déclaration de l’ONU en 1948, à « des droits de l’Homme métaphysiques », sauf que Dieu seul peut, en définitive, définir le droit de l’Homme dans l’islam.
Ce débat nous entraîne-t-il hors des réalités du monde ? Que devient l’action étatique, que reste-t-il à la politique ? Peut-on intervenir militairement pour la défense des droits de l’homme ? La question de l’universalité des droits de l’Homme est posée de manière implicite. Pour la bonne cause de l’action des Nations unies. Mais avec le danger qu’un penseur de l’Islam, apôtre de ses convictions, ne suggère de proposer des solutions alternatives pour une autre universalité de la déclaration de 1948. Le livre de Constance Arminjon Hachem, riche d’une grande variété d’analyses sur les auteurs iraniens les plus récents est-il la preuve que le « régime clérical » iranien est plus ouvert qu’on ne le pense souvent, sans rien céder de ses principes, sur le monde moderne ?