Ramses 2018 - La guerre de l’information aura-t-elle lieu ?
Ramses 2018 - La guerre de l’information aura-t-elle lieu ?
Le Ramses, rapport de l’Institut français des relations internationales (Ifri), nous rappelle chaque année au devoir. Ce sont nos feuilles d’automne et Thierry de Montbrial, Dominique David et Philippe Moreau Defarges ouvrent leur ronde.
Les « perspectives », dessinées par notre directeur, sont magistrales. Elles débutent par le rappel de l’événement majeur : l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump, playboy juché sur le plus haut trône de notre temps, que même la Russie n’attendait pas. Inattendu, insaisissable aussi : il n’est pas sûr que le nouveau Président connaisse le cap qu’il suit. En peu de temps, ce timonier incertain « a déjà commis de lourds dégâts », affaiblissant la crédibilité de son pays. L’occasion était pourtant offerte ; elle a été manquée, la diplomatie occidentale s’en tenant aux réflexes acquis dans la « guerre froide » et qui n’étaient plus de mise. La question actuelle, nouvelle, est celle-ci : les démocraties libérales peuvent-elles s’entendre avec des démocraties « illibérales » ? Créditons Trump, cette force de la nature aux propos rafraîchissants, d’avoir évité de trop grosses bourdes. La Corée du Nord, qualifiée bizarrement de « royaume ermite », est en tout cas l’anomalie inquiétante de notre monde raisonnable. Revenons « chez nous ». Thierry de Montbrial constate que l’Alliance atlantique est en survie, mais qu’il serait prématuré de la tenir pour inutile. Il souligne que les riches Européens n’échapperont pas à l’énorme problème causé par l’immigration des pauvres. Il s’affirme macroniste, relevant – l’expression est heureuse – la vertu essentielle de notre Président : à l’aise avec les gens. Jean-Luc Mélenchon, enfin, est donné clairement pour ce qu’il est et qu’on ne dit pas assez, représentant irréductible du trotskisme national. Montbrial termine son tour d’horizon par le Moyen-Orient, que la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite font plus compliqué que jamais. Sa conclusion est pessimiste : elle annonce le titre de son prochain livre, Vivre le temps des troubles (Albin Michel).
Le rapport définit ensuite trois enjeux pour l’année qui vient. Comme le chantait Bob Dylan dès 1964, « Le monde… et les temps changent ! » La Russie, ensuite, reste ce qu’elle est, puissance incertaine. L’information, enfin, est le nouveau théâtre d’opérations.
Dominique David lance le débat. La puissance, concept que l’on croyait périmé, est de retour, mais dans l’inorganisation et, plus encore, dans la mauvaise conscience des « puissants ». Moreau Defarges prend la suite, égal à lui-même, Philippe le Subtil ! Il annonce l’avènement de « l’homme inutile » et avec lui, du nouvel ennemi qui nous guette, l’ennui. C’est que l’Homme majuscule, inutile on le sait, est à lui-même son propre Dieu. Pas de situation plus ennuyeuse que celle-là ! Certes, la Russie inquiète. Sa puissance militaire fait peur, mais « a-t-elle une grande stratégie ? ». Au demeurant, une telle ambition paraît aujourd’hui impossible. « La faute à Internet » avance Julien Nocetti. Françoise Massit-Folléa lui répond, « Internet n’est qu’utopie ». Le débat ainsi amorcé se poursuivra. Il appauvrira ou enrichira la pensée et bien malin qui, aujourd’hui, trancherait. Revenons, pour finir, au titre du rapport, La guerre de l’information aura-t-elle lieu ? Réponse : elle bat son plein. Pour nous sauver de ses sirènes, imitons Ulysse, fermement attaché au mât de son fragile esquif.
Ramses, œuvre collective, rassemble les réflexions de près de cinquante auteurs, chacun expert en son domaine. Ainsi survolera-t-on le monde, les rédacteurs avouant proposer plus de questions que de réponses : sur les États-Unis et leur Trump, le Moyen-Orient et le Maghreb, l’Asie et son Sud-Est incertain, l’Afrique subsaharienne, diverse certes mais globalement inquiétante (on retrouve ici l’excellent Alain Antil), l’Europe enfin où le Brexit défie les prévisions. Comme à l’habitude, de précieux « repères » seront utiles aux curieux.