Lieutenant-colonel Georges Masselot
Lieutenant-colonel Georges Masselot
La célèbre phrase de François 1er : « Tout est perdu fors l’Honneur » pourrait avoir été prononcée par Georges Masselot tant sa vie aura illustrée la belle devise de la Légion étrangère : « Honneur et Fidélité ».
Le jeune Pied-Noir de dix-neuf ans qui intègre Saint-Cyr en 1930 a déjà le fort caractère qui va s’exprimer tout au long de sa carrière. Depuis la raclée qu’il inflige en 1935 à un des énergumènes mosellans qui, dans un bar de Sarrebourg, insultent l’Armée française (ce qui lui vaut trente jours d’arrêt de forteresse) jusqu’au putsch d’Alger en 1961 (qui lui vaudra une condamnation à huit ans de détention criminelle), il sera en première ligne partout où l’honneur de la France et de son Armée sera en jeu. Et, à chaque fois, il en paiera le prix fort dans son corps, à l’hôpital, dans son cœur, avec la mort de son fils en opération, et dans son âme de Français, avec ses années dans les geôles de sa Patrie…
De 1939 à 1961, sans interruption, il sera au combat. Il rejoint la Légion étrangère en 1936 et est très grièvement blessé en janvier 1940, à Nanteuil-sur-Marne, dans les rangs du 12e REI. C’est à l’hôpital qu’il apprend, en juillet 1940, le bombardement de la Flotte à Mers El Kébir : de là, date son antigaullisme.
Après sa convalescence, il rejoint l’Armée d’Afrique et le Régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE) dans les rangs duquel il sera à nouveau blessé en mai 1943, en Tunisie. Après une année d’hospitalisation, il retrouve le RMLE en mai 1944 et s’y illustre au cours des durs combats de la libération des Vosges. Le capitaine Masselot est fait chevalier de la Légion d’Honneur, à titre exceptionnel, et décoré sur le front des troupes, en Allemagne, le 7 avril 1945, par le général de Gaulle dont l’accolade lui fera dire « qu’il y a à la guerre des épisodes insupportables… ».
La guerre terminée, le RMLE, devenu 3e REI, ne rentre au Maroc que pour repartir en rs 1946 en Indochine. Masselot va donner toute sa mesure de chef et de soldat au cours de ce conflit. Breveté parachutiste en Algérie, en 1949, il va tout naturellement participer à la mise sur pied des Paras-Légion et prend la tête du 3e BEP à l’été 1949. Désigné pour commander le 1er BEP en 1950, l’anéantissement du bataillon à Coc Xa annulera cette mutation. Il rejoindra alors le 5e REI pour son deuxième séjour en Indochine. Il s’illustre, avec son bataillon (I/5e REI), dans la protection du repli d’Hoa- Binh, en février 1952, et, toujours à titre exceptionnel, est fait officier de la Légion d’Honneur. En juillet 1953, il rentre en Afrique du Nord comme second du 3e BEP et on lui propose à nouveau de commander le 1er BEP qui, hélas, est engagé peu après, en novembre, dans la bataille de Diên-Biên-Phu ce qui, de ce fait, prolonge son chef de corps, le commandant Guiraud. En février 1954, le 3e BEP est désigné pour sauter sur DBP et Masselot est désigné pour le commander. En raison de problèmes d’effectifs, le Bataillon n’embarque pour l’Indochine qu’à la fin avril et n’arrivera qu’après la chute du camp retranché. Le 3e BEP fusionne alors avec le reliquat du 2e BEP et en reprend le numéro, le fanion et les traditions. Masselot crée le camp Raffali à Saigon et y installe le Bataillon. Le 13 juillet 1955, le fanion reçoit la fourragère de la Légion d’Honneur : « Une épaulette ornée de la fourragère rouge ne peut plus fléchir », dit-il dans son Ordre du jour.
Le 18 novembre 1955, le 2e BEP rentre en Algérie et devient 2e REP. Le chef de bataillon Masselot est chef de corps à titre provisoire et va devenir second car c’est un colonel, de Vismes en l’occurrence, qui doit commander un régiment. C’est le colonel Lefort qui lui succédera en avril 1958. Les rapports seront très tendus entre Masselot et lui, celui-là reprochant à celui-ci de n’avoir été ni légionnaire ni parachutiste en Indochine. En juin suivant, c’est la mutation hors Légion comme adjoint opérationnel du commandant du secteur de Djelfa. Il va s’y distinguer en éliminant Amirouche, le chef de la Willaya 3 et Si Haouès, celui de la Willaya 6. Les ayant localisé, en avril 1959, avec leurs hommes, il envoie le 6e RPIMa et pour éviter les intrigues élyséennes donne l’ordre de ramener le corps d’Amirouche : « J’ai bien dit le corps ! ». L’opération est un énorme succès et, le 7 juillet, toujours à titre exceptionnel, le commandant Masselot est fait commandeur de la Légion d’Honneur. Le 1er octobre, il est nommé lieutenant-colonel et le 2 février 1960, il prend le commandement du 18e Régiment de chasseurs parachutistes (RCP). Des appelés et un béret rouge pour un homme qui avait toujours porté le béret vert et commandé des professionnels ! En quelques mois, il va en faire une des meilleures unités de la 25e Division parachutiste qui gagnera le surnom de 3e REP ! Les opérations et les succès s’enchaînent ; hélas, son fils Philippe, dix-huit ans, est tué par erreur, en juin 1960, au cours de l’une d’elles. C’est une terrible épreuve qui l’affecte profondément, même s’il n’y paraît pas. Cependant, des inquiétudes se font jour après les déclarations de De Gaulle sur l’avenir de l’Algérie mais, en visite à Telergma, Michel Debré, alors Premier ministre, déclare au général Crépin : « Vous pouvez donner à tous vos subordonnés l’assurance que la France restera… ».
Le 11 avril 1961, le général de Gaulle déclare que « l’Algérie coûte plus cher qu’elle ne rapporte ». Les jours suivants, en liaison avec les généraux Challe et Jouhaud, c’est la préparation du putsch avec les patrons des 1er REC, 2e REP et 14e RCP. Le récit de ces journées et de celles de la Révolte militaire d’Alger est passionnant et l’on apprend beaucoup sur la loyauté des uns et l’opportunisme des autres. On les vit à l’intérieur du 18e RCP et, après l’échec, à travers son chef qui, fidèle à sa conception de l’Honneur, prendra toutes les responsabilités sur lui. Il « accepte d’être fusillé » mais demande que son régiment ne soit pas dissous. Il ne sera pas écouté et, le 30 avril 1961, c’est la dissolution. Sa consolation : son « drapeau ne subira pas la souillure du honteux abandon de l’Algérie Française ».
Transféré en Métropole avec ses officiers, il est incarcéré à la Santé et comparait devant le Haut-Tribunal militaire le 28 juin. Il déclare alors : « […] Je fus amené, personnellement, à prendre l’engagement d’honneur que l’Armée française resterait […] parce que la France l’avait promis… et le drame [c’est que] la lettre de la discipline aurait exigé un reniement de ces engagements alors qu’il n’y a qu’un honneur et qu’une parole d’honneur est la seule chose qui ne puisse se donner à titre temporaire… ». Il sera condamné à huit ans de détention criminelle. Son épouse lui apportera un petit morceau du drapeau de 18, qu’elle a découpé clandestinement à Vincennes : il ne le quittera plus et sera enterré avec. De la Santé, il sera transféré à Clairvaux où il accrochera à la porte de sa cellule la pancarte suivante : « À moi Auvergne ! L’ennemi n’est pas loin : 10 km environ dans le Nord-Est », allusion non déguisée à la situation de Colombey-les-deux-Églises… [« À moi Auvergne ! », est le cri de guerre du 18e RCP, héritier des traditions du Royal Auvergne]. Il finira son incarcération à Tulle où il retrouvera les principaux acteurs du putsch.
Le 13 juillet 1965, après cinquante et un mois de détention, le 2e classe Masselot (déchu de son grade, ses décorations et droits civiques) bénéficie d’une grâce amnistiante. En juillet 1968, c’est l’amnistie totale et, en 1984, c’est la réintégration dans son grade avec ses décorations. Après onze ans dans l’immobilier, il prend sa retraite et sera président d’honneur de l’Association pour la mémoire de l’Empire français. Il meurt le 1er juin 2002 à Pau.
On n’en finirait pas de citer les anecdotes pleines de vie qui émaillent ce livre. Depuis le pittoresque enterrement de l’adjudant Weidling au Sénégal jusqu’au séjour à Tulle, en passant par les décorations du prince Sihanouk, les coups de gueule, les réparties cinglantes, les décisions audacieuses, le mépris du danger et du respect humain, mille petits faits viennent éclairer la biographie de Georges Masselot, magnifique soldat au caractère et à l’humour affirmés. Tout cela pour le plus grand bonheur du lecteur qui découvrira, servis par une plume alerte et de qualité, les dessous de l’Histoire militaire française de 1930 à 1961.
Il faut remercier Robert Saucourt d’avoir tiré de l’oubli cette belle figure d’officier en nous livrant un récit passionnant, qui se dévore plus qu’il ne se lit, tant on est pris par le rythme effréné de la vie de ce personnage haut en couleur qui jamais ne s’écarta du chemin de l’Honneur. Le lieutenant-colonel Masselot totalisait trente années de service, trois blessures au feu, quinze citations, dont dix à l’ordre de l’Armée, et était commandeur de la Légion d’Honneur.