Angela Merkel, l’Ovni politique
Angela Merkel, l’Ovni politique
Angela Merkel vient d’être réélue pour un quatrième mandat comme chancelière après déjà douze années de pouvoir. Certes sa victoire est amère en raison de l’entrée au Bundestag de plus de 90 députés de l’AfD (Alternative für Deutschland), un parti d’extrême-droite ouvertement nationaliste, populiste et très hostile à Angela Merkel. Pourtant, celle-ci va encore incarner l’Allemagne pour les quatre années à venir et donc poursuivre cette longue période de stabilité autour de sa personnalité si atypique.
D’où l’intérêt du récit passionnant proposé par Marion Van Renterghem qui permet de comprendre le parcours de la jeune Angela Kasner et sa longévité politique, d’autant plus qu’à travers « la femme la plus puissante du monde », c’est l’histoire de l’Europe contemporaine que l’on peut mieux comprendre, avec ses failles et ses complexités, mais aussi ses réussites
L’auteure met en lumière des aspects trop souvent oubliés d’Angela Merkel mais qui sont le reflet à la fois de la nouvelle Allemagne, première puissance économique européenne, mais aussi de l’Allemagne d’hier, celle divisée de l’après-guerre suite au désastre nazi. Cette dimension est essentielle et permet d’éclairer en grande partie les choix faits par Angela Merkel à la fois pour sa vie personnelle mais aussi pour les décisions qu’elle a prises depuis douze ans comme chancelière. Née en 1954, de 1957 à 1989, elle a grandi, vécu et étudié en Allemagne de l’Est, dans un domaine aussi peu politique que les sciences physiques. C’est donc une scientifique, fille d’un pasteur ayant choisi librement d’exercer en RDA, en contraste total avec l’habituelle classe politique allemande. Dans un pays au régime répressif et oppressif, la jeune étudiante s’est fondue dans la grisaille anonyme d’une société communiste. Profondément attachée à sa région d’adoption du bord de la Baltique, le Mecklenburg, elle a toujours refusé les privilèges en particulier comme chancelière, se contentant d’une austérité contrastant avec les attitudes « bling-bling » de certains de ses homologues étrangers.
Son manque de flamboyance, voire son absence de charisme, ont constitué sa force tant dans la conquête du pouvoir que depuis à la Chancellerie. Mais derrière cet aspect austère, c’est une tacticienne extrêmement habile qui a su « tuer le père politique » en écartant Helmut Kohl, le « père » de la réunification allemande, mais aussi battre Gerhard Schröder qui croyait avoir gagné sa réélection. Depuis, elle a su imposer son tempo – plutôt lent – s’appuyant à la fois sur ses valeurs issues du protestantisme mais aussi sur le refus de la précipitation décisionnelle. Cet aspect-là est particulièrement souligné dans le chapitre consacré à la France. En effet, comme chancelière, elle a eu à travailler avec quatre Présidents depuis Jacques Chirac. Les anecdotes y sont savoureuses et très significatives des différences culturelles entre dirigeants français et allemands, au risque d’incompréhensions mutuelles.
Marion Van Renterghem souligne également la position paradoxale d’Angela Merkel sur la scène internationale depuis quelques années. La montée des populismes en Europe, mais également le Brexit et l’élection inattendue de Donald Trump ont fragilisé le modèle démocratique à l’européenne. À cela s’est rajoutée l’arrogance russe. Sur ce sujet, le passé d’« Ossie » d’Angela Merkel a été et reste un atout majeur pour dialoguer – en russe – avec Vladimir Poutine qui avait été officier de renseignement de l’ex-KGB en ex-RDA. Toutefois, malgré le « passage de témoin » fait par Barack Obama à la fin de son second mandat, Angela Merkel ne s’est pas voulue comme la nouvelle « leader » du monde libre si l’on prend en compte la défaillance de la nouvelle Administration Trump. Cela ne l’a pas empêché cependant de prendre la décision controversée d’accueillir environ un million de réfugiés venant en majorité du Levant et d’Afrique sub-saharienne au nom des principes moraux que doit incarner l’Allemagne réunifiée. Cette ouverture des frontières répondrait à ce besoin de réparation due par le peuple allemand, en raison de l’irréparable qu’a constitué le nazisme.
Ce choix courageux a effectivement coûté cher à Angela Merkel lors des élections de septembre, avec le risque d’un certain durcissement de la politique allemande dans les mois à venir, en fonction de la composition de la coalition gouvernementale. La question européenne restera délicate, d’autant plus que l’AfD s’opposera systématiquement aux propositions pro-européennes, en particulier celles portées par Emmanuel Macron.
Ce quatrième mandat sera-t-il alors celui de trop ? Il est encore trop tôt pour en juger mais l’un des éléments clés sera la capacité d’Angela Merkel à propulser des personnalités pour lui succéder alors même que jusqu’à présent, elle avait réussi à écarter de potentiels rivaux. Il y a cependant une réalité incommensurable, Angela Merkel a déjà durablement marqué non seulement l’histoire de l’Allemagne contemporaine mais aussi celle de l’Europe et donc de la France.