La Russie est redevenue un acteur de premier rang auprès des pays d’Afrique du Nord, parvenant à établir des partenariats dans des domaines divers, allant de l’armement au tourisme. Moscou a su offrir une position alternative différente des pays occidentaux et répondant aux aspirations régionales.
Quelles réalités et intentions derrière les avancées russes en Afrique du Nord ?
What Lies Behind Russian Adventures in North Africa?
Russia has again become a top-ranking player among North African countries, and has created partnerships in fields as diverse as arms and tourism. Moscow offers a different stance from Western countries and is responding to regional aspirations.
L’annexion de la Crimée en 2014 puis le déploiement de militaires russes en Syrie, à partir de 2015, concentrent toujours l’attention d’une partie des observateurs internationaux travaillant sur la Russie *. Pour autant, l’activité diplomatique et militaire russe ne se limite pas à ces deux zones. Elle est toujours réelle en Asie (Inde, Vietnam, Chine), historique en Asie centrale, et un rapprochement s’opère même avec le Pakistan et l’Afghanistan, tout comme avec l’Arabie saoudite et le Qatar. Désormais, cette dynamique tend à toucher l’Afrique du Nord, région stratégique pour l’Europe. En y développant sa présence, la Russie pourrait chercher à assurer davantage la dépendance énergétique de l’Union européenne (UE) à son endroit, tout comme à s’imposer à nouveau comme un partenaire obligé des capitales européennes dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Cette activité de la diplomatie russe ne peut qu’interroger sur le vide relatif laissé par les puissances occidentales auprès de pays étant pourtant des partenaires historiques. Elle pourrait en définitive venir confirmer le désengagement des États-Unis d’une partie de la scène internationale et l’affaiblissement du modèle qu’ils ont longtemps incarné.
En Égypte, Moscou en passe de remplacer Washington comme partenaire
L’action de Moscou en Afrique du Nord est d’abord visible en Égypte. Profitant du retrait des États-Unis du Levant entamé sous la présidence de B. Obama (2009-2017) et de la méfiance du nouveau pouvoir égyptien vis-à-vis de Washington, Moscou a opéré un rapprochement avec l’homme fort d’Égypte, Abdel Fattah el-Sisi, suite à la chute du président Mohamed Morsi en 2013. Ce renouveau de la proximité russo-égyptienne s’est traduit par la venue en 2015 du président Vladimir Poutine au Caire. Une visite que le chef d’État égyptien lui a retournée quelques semaines plus tard lors des célébrations du « jour de la victoire » (9 mai) que les États occidentaux ont choisi de boycotter du fait des événements en Ukraine. Le lien entre Moscou et Le Caire s’est affiché une fois encore lors du vote commun d’octobre 2016 au Conseil de sécurité des Nations unies contre les frappes aériennes en Syrie. Une position égyptienne largement critiquée dans le monde arabe. La même année, les deux pays réalisaient un premier exercice militaire conjoint baptisé Defenders of Friendship. Dans le domaine de l’armement, les forces armées égyptiennes deviennent peu à peu un client important de l’industrie russe alors qu’elles ont largement bénéficié de l’aide militaire américaine par le passé. Le pays devrait prendre livraison de 50 hélicoptères de combat Alligator en 2017 et de la même quantité d’avions de combat MiG-29 d’ici à 2020 (1). Enfin, des médias russes ont rapporté que Moscou négociait avec Le Caire l’ouverture d’une base militaire à la frontière avec la Libye pour soutenir ses appuis dans ce pays (voir paragraphe suivant) (2). Aujourd’hui, l’Égypte et la Russie ont entamé des négociations commerciales importantes pour un projet commun dans le domaine de l’énergie nucléaire. Dans ce cadre, Moscou a octroyé un prêt de 25 milliards de dollars au Caire en novembre 2015 pour la construction d’une centrale nucléaire en Égypte (3). Rosneft, géant russe de l’énergie, s’intéresse également à l’Égypte : il a racheté à l’entreprise italienne ENI 30 % de ses parts détenues dans le champ gazier offshore « Zohr » (concession de Shorou) (4). Lukhoil est aussi actif en Égypte avec trois sites de production. La Russie cherche dorénavant à s’y présenter comme un acteur neutre et responsable, c’est-à-dire comme une alternative aux capitales occidentales dont la posture est présentée par Moscou comme interventionniste. Il reste que les avancées de la Russie ne sont pas acquises. La diplomatie égyptienne a une longue tradition d’équilibre de ses soutiens.
La Russie devient inévitable dans la résolution de l’équation libyenne
En Libye, les diplomates russes ont également mené un rapprochement avec le général Khalifa Belqasim Haftar, tout en maintenant des contacts avec les représentants du Gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli, seul reconnu par la communauté internationale. Après l’exécution du colonel Mouammar Kadhafi en 2011, ce n’est qu’en 2015, avec la rencontre à Moscou entre le Premier ministre Abdullah al-Thani, soutenu par le général K. B. Haftar, et le président V. Poutine que le dialogue bilatéral reprendra de manière significative. Depuis lors, le général libyen s’est rendu à plusieurs reprises à Moscou afin d’y obtenir un soutien. En janvier 2017, l’homme fort de la Cyrénaïque a fait une visite remarquée par la presse internationale sur l’Amiral Kouznetsov, le seul porte-avions de la marine russe, alors en route pour la Syrie. À cette occasion, le général K. B. Haftar a rappelé son accord donné à une présence militaire russe dans les territoires placés sous son contrôle afin de combattre les groupes djihadistes (5). Dernièrement, la venue à Moscou du Premier ministre du GNA, Fayez el-Sarraj, témoigne de la place croissante qu’occupe la Russie dans le règlement du dossier libyen. Ainsi, il y aurait appelé les autorités russes à jouer un rôle de médiateur auprès du général K. B. Haftar pour stabiliser le pays. Le dialogue se poursuit, le ministre des Affaires étrangères Sergeï Lavrov s’étant entretenu avec F. el-Sarraj de ce sujet lors de la 72e session de l’Assemblée générale des Nations unies (New York, du 12 au 25 septembre 2017) (6). Comme en Égypte, la Russie est parvenue à profiter du vide laissé par les États-Unis et de la méfiance suscitée par les interventions occidentales dans la zone ces dernières années. Dès lors, la machine diplomatique russe travaille méthodiquement à y assurer les intérêts sécuritaires et économiques du pays. Sur ce dernier point, Rosneft a déjà affirmé son souhait de contribuer à la reconstruction du secteur pétrolier en Libye dont les réserves sont les plus importantes d’Afrique (7). Si le géant de l’énergie russe parvenait à ses fins, il contrôlerait alors d’autant mieux
l’approvisionnement en pétrole de l’Europe. Dans un autre registre, la Russie pourrait être tentée de jouer un rôle dans la crise migratoire qui frappe particulièrement les pays européens bordant la Méditerranée et pour laquelle la Libye constitue un verrou. Moscou pourrait avoir en tête les contreparties obtenues par le président turc Recep Tayyip Erdogan, menaçant d’ouvrir le robinet migratoire.
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