La lecture des principes de Foch reste plus que jamais nécessaire à condition de pouvoir les comprendre au regard des nouvelles incertitudes du champ de bataille. La force de la pensée tactique développée par celui qui fut professeur à l’École de Guerre est de s’inscrire dans une dynamique capable de s’adapter pour vaincre l’ennemi.
Des principes de la guerre de Foch à l’heure de la transparence du champ de bataille
On Foch’s principles of Warfare in the Era of Transparency on the Battlefield
It is more than ever necessary to read again Foch’s principles, whilst at the same time seeing them in a contemporary context of battlefield uncertainty. The strength of the tactical thought process developed by this former teacher at the War College lies in its adaptability in order to beat the enemy.
De 1983 dans Beyrouth à 2008 en vallée d’Uzbeen, en Afghanistan, la radicalité du métier des armes, la friction et la fulgurance de certaines situations autant dramatiques qu’imprévues, motivent à tous les niveaux dans une armée animée des meilleures vertus guerrières au service des Français, les efforts faits, souvent austères et longs, pour faciliter le travail de celui qui expose sa vie au contact. Si la sueur épargne le sang, il est permis, à plus forte raison, d’assurer que, « l’effort soutenu de la pensée militaire épargne le sang des nôtres et ouvre le chemin de la victoire. »
Cet effort, qui suppose liberté d’esprit et savoirs, doit s’accompagner d’une forme de sagesse qui ne confond jamais l’intrépidité et la témérité, l’audace et la prétention. L’intrépide apprécie paradoxalement la sûreté attachée à la préparation et à l’exécution de la manœuvre la plus audacieuse comme l’assurance du succès et la parade intelligente opposée à la surprise. Ce principe (de sûreté) nourrit en effet la protection et l’anticipation. On se désole donc d’être chargé au début du XXIe siècle d’un héritage conceptuel prétentieux qui érigea en principe ce qui n’est qu’une dynamique certes majeure, de l’action chez Foch (1). Or, il fait paradoxalement l’effort de distinguer les deux niveaux – d’ailleurs, pourquoi avoir francisé sous la bannière du vainqueur de 1918, un principe dont la paternité conceptuelle revient sans conteste, avec leurs nuances respectives, à Clausewitz, Mao Zedong et Corbett comme le rappelle Hervé Coutau-Bégarie dans son Traité de stratégie (2) – tandis que l’on s’interroge sur le grand absent de notre arsenal théorique, le principe de sûreté dont Foch est pour le coup le père ? Actuellement, ce vrai principe retrouve droit de cité avec une vigueur inattendue. Il n’aurait jamais dû être l’oublié de la pensée française de la guerre à mon sens. Mais surtout, le phénomène des vulnérabilités contemporaines contenues, portées par les progrès technologiques, et véhiculées par l’effervescence des comportements dépendant des émotions, des menaces floues et de la dictature de l’immédiateté, expose aujourd’hui sociétés et forces armées « au bug 4.0 », à l’effondrement systémique sans préavis. En paix, comme à la guerre, désormais plus un pas sans sûreté. Tel est le mot d’ordre. Offensif, j’ose écrire à l’instar de Foch – pour qui attaquer pouvait avoir pour effet d’obtenir la sûreté au profit des gros – car il faut reconquérir ce principe, d’application tactique et stratégique ; c’est un fruit de ma relecture de Foch au début du XXIe siècle, la fine pointe de cet écrit, une façon aussi de faire mémoire de mon grand-père, ancien combattant redevenu glaise qui concourut à la sûreté comme « nettoyeur de tranchée » avec un pistolet à barillet huit coups et une longue dague de chasse avec la consigne – non écrite – de ne pas faire de prisonniers (3)…
J’entreprends donc de lire Foch à l’orée du centenaire de la grande victoire, grande forcément puisque la guerre l’était. Le centenaire de la Grande Guerre nous y invite en effet, le retour des grandes cavalcades peut-être aussi. Mais plus sourdement, une autre raison m’y encourageait depuis longtemps : des réticences à admettre comme probant le principe de concentration des forces ou des efforts dans sa version plus élaborée. On l’enseigne certes jusqu’à l’asséner avec cette certitude qui parfois inscrit dans le marbre des vérités qui n’en sont pas. Hervé Coutau-Bégarie, plus sagement, écrit (4) : « Cette idée de concentration peut paraître évidente. De fait, c’est le principe le plus souvent cité (5). Il se heurte cependant aux exigences multiples qui rendent l’Art de la guerre si complexe. » L’expérience acquise de mon côté m’a plutôt rapporté, en osant une comparaison, l’existence d’un principe de dispersion à côté du principe de concentration si celui-ci existait pour répondre aux nécessités de discrétion ou pour réaliser l’effet d’ubiquité d’une force sur des espaces trop grands pour elle ; comme au Cambodge en 1993 où l’émiettement du contrôle des points de vote pour parer la menace Khmer rouge est allé jusqu’à la scission des équipes d’infanterie. Nous fûmes dans un moment d’hyper déconcentration, pour réaliser un effort « tâche d’huile » réussi qui correspondait au possible et au nécessaire dans le contexte du moment, sous la conduite du général Rideau qui avait pris ses risques. À tout Seigneur tout honneur. L’effort de la force, concentré dans le temps, fut appliqué dispersé dans l’espace. La concentration de l’effort s’obtint par la déconcentration des forces… c’est-à-dire par la pleine application de deux autres principes de Foch, la force armée réalisant enfin l’effet attaché à son 4e principe « de la sûreté » sur les points de vote.
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