L’expression « guerre froide » est de retour pour décrire les relations à nouveau difficiles entre l’Occident et la Russie héritière de la défunte URSS. S’il y a certaines similitudes dans les crispations actuelles, il est cependant nécessaire de revenir sur ce qu’a été en réalité la « guerre froide », notamment dans l’affrontement idéologique.
« Nouvelle guerre froide », ou difficultés de redéfinir les relations avec la Russie ? (1/2)
A New Cold War, or Difficulty in Redefining Relationships with Russia?(1/2)
The expression cold war has returned to describe the increasingly difficult relationship between the West and Russia, the latter still influenced by its heritage of the defunct Soviet Union. Whilst there are certain similarities is current tensions, we should nevertheless remind ourselves of what the Cold War was in reality, particularly in terms of the ideological confrontation.
Depuis la crise ukrainienne de 2014, les termes de « nouvelle guerre froide », « guerre froide II » ou de « guerre froide 2.0 » font florès dans les médias russes et occidentaux. À grand renfort de métaphores plus ou moins subtiles, les fantômes d’un passé que l’on pensait lointain sont désormais invoqués, allant jusqu’à saturer le débat public. Certes, l’expression de « guerre froide » connaissait déjà une nouvelle jeunesse dans le contexte d’une compétition entre la Chine et les États-Unis. Mais la remontée en puissance de l’armée russe, autant que la défense décomplexée de ce que Moscou décrit comme étant ses intérêts ou ceux de ses alliés, encourage l’emploi de ce terme pour désigner les relations entre la Russie, les États-Unis et l’Union européenne. À première vue, des continuités entre hier et aujourd’hui se dégagent, tant en ce qui concerne les protagonistes que les modes opératoires : guerre par procuration, diabolisation réciproque et intimidation militaire. Mais bien qu’il importe d’identifier ce que l’on peut aussi désigner par le terme de permanences historiques, peut-on pour autant parler de « nouvelle guerre froide » pour décrire le regain de tensions internationales ? Le choix des mots, étant donné les représentations qu’ils véhiculent, n’étant pas anodin, l’emploi de l’expression de « nouvelle guerre froide » ne pourrait-il pas biaiser notre rapport à la Russie, en projetant sur elle des représentations héritées du passé ? Il convient donc de déterminer si cette analogie est réellement fondée et dans quelle mesure elle est susceptible de brouiller la compréhension des objectifs de la politique extérieure russe. Elle empêcherait par là même de faire preuve de l’agilité nécessaire pour répondre aux défis que pourrait poser Moscou.
Représentations contemporaines de la Russie dans la sphère publique : le retour de l’ancien « adversaire »
En 2016, la Russie a sans conteste occupé le podium des pays passés au crible de la presse française, aux côtés de la Syrie et des États-Unis. Nombre d’articles et de contributions lui associent désormais un champ lexical emprunté à l’affrontement Est-Ouest qui marqua la seconde partie du XXe siècle. « Poutine rallume la guerre froide », titre le Courrier international du 3 novembre 2016, alors que Le Figaro du 6 octobre 2016 évoque un « retour de la guerre froide » pour décrire les relations entre Moscou et Washington. Mais quelles seraient donc les principales caractéristiques de cette « nouvelle guerre froide » évoquée dans la sphère publique ? Elles se traduiraient tout d’abord par une lutte entre deux visions du monde qui opposerait une Russie conservatrice, dirigée par un Vladimir Poutine, tantôt nouveau Tsar (1), tantôt comparé à Staline (2), à Hitler (3), parfois aux deux, symbolisant la menace totale par excellence, et un monde occidental libéral, tourné vers le progrès. En d’autres termes, un nouveau « choc des civilisations » se préparerait donc (4). Toutefois, le fait que la tendance autoritaire d’un pouvoir faisant référence à un destin national et critiquant l’Occident ne soit pas, en l’occurrence, une spécificité russe (5), est souvent passé sous silence.
De même qu’il faudrait contenir une Russie impérialiste et agressive, cherchant à ressusciter l’URSS (6), ce qu’illustrerait la célèbre formule de Vladimir Poutine, par ailleurs souvent citée tronquée : « Celui qui regrette l’URSS n’a pas de cœur, celui qui cherche à la reformer n’a pas de tête. » Selon cette logique, les anciennes républiques soviétiques, en particulier les pays baltes, seraient dans le viseur d’une Russie cherchant à recréer son ancien empire. Ou encore, à l’aune du Russiagate et des cyberattaques « venues de l’Est », se dessinent dans la presse américaine les contours effrayants du visage d’un ennemi omnipotent, coupable d’ingérence et capable à lui seul de changer le destin politique d’une nation tout entière (7). L’activation par Moscou des canaux de son soft power de manière ouverte et décomplexée (8), pour preuve, les sites d’information financés par le Kremlin (Sputnik ou RT) peut rappeler les plus chaudes heures de la guerre froide. En outre, les sanctions prises à l’égard de la Russie semblent redonner corps au fantôme d’une URSS isolée de l’Occident. Enfin, la remontée en puissance de l’armée russe depuis 2008 (9), sa projection en Ukraine en 2014 et en Syrie en 2015, font planer le risque d’un conflit indirect. C’est ainsi que ces divers éléments du contexte géopolitique récent alimentent la rhétorique d’une « nouvelle guerre froide ». Ce terme n’est toutefois pas neuf, même s’il s’impose en 2014, à la lumière de la crise ukrainienne. Il fut déjà employé en 2005-2006, à la faveur du conflit gazier où Kiev et Moscou s’affrontèrent, puis en 2008, à l’issue de la guerre russo-géorgienne (10).
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