La Nostalgie de l’honneur
La Nostalgie de l’honneur
L’honneur a-t-il disparu ? Rien ne l’atteste, et pourtant, à en croire Jean-René Van der Plaetsen, l’honneur se serait envolé avec les derniers gaullistes, ces « grands seigneurs » dont les derniers représentants se sont effacés au crépuscule du XXe siècle.
Journaliste au Figaro et petit-fils du général Jean Crépin, l’auteur nous offre avant tout avec La Nostalgie de l’honneur une fresque profonde et émouvante de la vie de son grand-père, Compagnon de la Libération de la première heure et bras-droit du général Leclerc dont il commandait l’artillerie de la 2e DB, et qui occupa plusieurs postes politico-militaires de première importance durant les années de présidence du général de Gaulle. De ce point de vue, l’ouvrage offre d’une part, un témoignage historique de premier ordre et d’autre part, un hommage – celui d’un petit-fils à son grand-père – devant lequel on ne saurait rester insensible. Ainsi pensait et agissait le général Jean Crépin, un bel exemple pour notre temps.
Mais malgré la sincérité du récit, il se dégage de l’ouvrage un sentiment diffus de gêne. Car la nostalgie de l’auteur vire par certains égards à un enfermement de l’honneur dans une tour d’ivoire fermée à triple tour.
Le premier tour de clé est temporel : l’honneur et les nobles sentiments auraient déserté notre époque. « C’est un fait : notre époque n’a plus le sens de l’honneur » lit-on d’emblée en quatrième de couverture. L’auteur quinquagénaire constate ainsi n’avoir « jamais retrouvé, chez les membres issus des générations postérieures à celle de [son] grand- père, le même sens de l’honneur que celui qui habitait ces quelques officiers ou civils ayant formé les premiers carrés de la France libre ». Quel désenchantement ! Certes, le petit-fils du général Crépin ne manque pas de souligner la particularité de l’époque traversée par la génération de son grand-père, une époque propre selon lui à « assouvir cette aspiration de l’esprit à s’élever ». Il suggère par ailleurs, à juste titre, en évoquant son passage personnel sous les drapeaux, que l’institution militaire reste un lieu d’exigence et de dépassement de soi où les germes de la grandeur se cultivent encore face à l’adversité. Mais cela ne suffit pas à dissiper la mystique souvent excessive que l’auteur confère à une époque érigée en propriétaire de l’honneur. À cet égard, la figure du grand-père, qui est incontestablement un bel exemple d’intégrité et de courage, apparaît souvent comme étouffante. Et, derrière cette statue du Commandeur, le feu sacré de l’honneur semble inaccessible, comme confisqué par le temps. ♦
Le deuxième tour de clé est celui de l’enfermement de l’honneur dans la chose militaire. « Il n’y a d’autre noblesse que celle qui se révèle sur les champs de bataille » nous dit Jean-René Van der Plaetsen. Si l’auteur nuance ensuite ce propos, reste qu’hors de l’uniforme et de la bataille, point de salut. Triste sentence pour ceux qui n’en sont pas ! La société civile n’a-t-elle aucune figure de « grands seigneurs » capables de « protéger leurs semblables et de prendre en main leur destin pour les mener à bon port » ? À l’heure où les champs de bataille ne sont plus aussi clairement délimités qu’il y a soixante-dix ans, on peut en douter.
Le troisième et dernier tour de clé est celui du gaullisme. Il est incontestable que la « flamme de la Résistance » occupe une place majeure au panthéon de l’honneur national. Brillamment raconté, l’engagement du lieutenant-colonel Jean Crépin lors du « serment de Manoka » en août 1940 en est à l’évidence une belle manifestation. Mais force est de constater qu’une certaine forme d’intransigeance gaulliste imprègne l’ouvrage. Évoquant Jean Crépin, un de ses contemporains cité par l’auteur considère ainsi que « sur le plan national, hormis les Français libres, il ne voyait ni rédemption, ni salut » et que « tout être humain de nationalité française n’ayant pas opté officielle- ment pour le général de Gaulle dès 1940 présentait à ses yeux une tare indélébile et néfaste ». Plus loin, c’est au tour de l’auteur d’évoquer cette fois la « hiérarchie militaire traditionnelle, celle qui s’était planquée pendant la guerre ». On est bien loin de la nuance d’un Honoré d’Estienne d’Orves écrivant avant sa mort les lignes suivantes :
« Je n’éprouve aucune amertume vis-à-vis de ceux qui n’ont pas donné à leur action la même direction que moi […] je suis sûr qu’ils n’ont eu comme moi qu’un but : la grandeur de la France. » (1) Et que dire de l’amiral Auphan qui intitula ses mémoires L’Honneur de servir (2) ? Fallait-il lui interdire ce droit à l’usage du mot honneur ? Un peu plus loin dans le temps, et bien que pendant la guerre d’Algérie le général Crépin fît preuve d’un grand sens de la mesure, cette intransigeance se retrouve sous la plume de l’auteur lorsqu’il fustige par exemple les « soviets de colonels », dont certains pour- tant abandonnèrent tout au nom de l’honneur. Enfin, cette impression d’exclusivité gaulliste sur le concept d’honneur est renforcée lorsque Jean-René Van der Plaetsen évoque le lien « quasi-féodal » qui unit son grand-père au général de Gaulle ou encore lorsqu’il compare le gaullisme à un « IIIe Empire ». Entre chevalerie et bonapartisme, difficile de laisser d’autres formes d’honneur exister.
Premier ouvrage du directeur délégué de la rédaction du Figaro Magazine, La Nostalgie de l’honneur nous offre un bel exemple tiré de cette « génération transpercée par l’histoire » qui connût trois guerres en deux décennies. Il ne fait aucun doute que notre époque a et aura besoin d’hommes comme le général Crépin. Mais la nostalgie n’est sans doute pas la meilleure manière de raviver la flamme.
(1) Étienne de Montety : Honoré d’Estienne d’Orves, un héros français ; Perrin, 2001, p. 294.
(2) Amiral Auphan : L’Honneur de servir ; France-Empire, 1970 ; 590 pages.