Le développement des systèmes d'armes létaux autonomes s’accélère avec des interrogations techniques, juridiques et éthiques. Quelle sera leur place dans les stratégies militaires de demain ? Quels seront les dispositifs de régulation des États utilisateurs et des institutions internationales ? De nombreuses questions restent ouvertes.
Les Sala : vers une nouvelle course à l’armement ?
Autonomous Lethal Weapon Systems: the Start of a new Arms Race?
The development of autonomous lethal weapon systems (armed robots, to use the vernacular expression) is accelerating, and with it comes interrogation on technical, legal and ethical aspects. How will these systems fit into future military strategies? What regulatory mechanisms will be established for countries that use them and for international institutions? There are many questions yet to be answered.
Ils n’existent pas, ou pas encore, ou seulement sous certaines formes, ne cesse-t-on de lire partout, des instances gouvernementales aux articles de journaux. Ainsi, le caractère presque fantastique associé aux « robots tueurs » s’amenuise, pour laisser place à des prototypes de plus en plus élaborés. Au point qu’en 2013 la communauté internationale a jugé nécessaire d’engager, à l’initiative de la France, des discussions au sein d’un groupe d’experts dans le cadre de la Convention de 1980 sur certaines armes classiques (CCAC) dont la dernière session s’est tenue en avril 2018. Loin des scénarios de science-fiction, quelle définition donner aux systèmes armés létaux autonomes (SALA) ? Selon la Mission permanente de la France auprès de la Conférence du désarmement à Genève : « Les systèmes d’armes létaux autonomes sont des armes potentiellement susceptibles d’identifier, d’engager et de neutraliser une cible sans intervention humaine. » Dans le dossier consacré au SALA par cette même Mission, la France a précisé les conditions dans lesquelles elle estime qu’un engin correspond à ce type de système armé : « Aucune forme de supervision humaine ne doit être possible, l’arme doit être mobile dans un espace terrestre, aérien ou marin de manière autonome, être capable de sélectionner une cible et de déclencher le tir d’une munition létale de manière autonome, être capable de s’adapter à son environnement et au comportement des agents qui l’entourent. » La définition se veut la plus complète possible et donc la plus restrictive.
Une fois de plus, le développement de la technologie et la volonté industrielle et scientifique d’aller plus avant dans le développement des SALA ont poussé les autorités politiques nationales et internationales à se saisir de la question de la régulation du développement d’une telle arme (cf. Jeangène Vilmer, 2013). Il est de plus en plus courant de voir le développement des SALA défini comme la 3e révolution dans les affaires militaires (RMA), après la poudre et l’arme nucléaire. C’est notamment le cas dans la lettre ouverte de chercheurs en robotiques et intelligence artificielle publiée en 2015. Cependant, là où la mise en place des deux premières maintenait le soldat dans la position de décideur, de maillon central de l’engagement de la force armée, l’incorporation de SALA dans les systèmes de défense nationaux pourrait consacrer non seulement la robotisation de l’armée, mais surtout sa déshumanisation. Si les SALA incarnent véritablement la 3e RMA, leur développement semble déjà prendre la forme d’une véritable course à l’armement, alors même que le système international repose aujourd’hui sur un modèle multipolaire, par définition plus imprévisible et instable que le modèle bipolaire dans lequel l’arme nucléaire a pu être développée et encadrée. Or, même dans ce contexte bipolaire, où rien n’a pu véritablement empêcher la prolifération nucléaire, un développement effréné de SALA dans un monde multipolaire pourrait dès lors s’avérer périlleux.
Il semble alors intéressant de se poser la question des perspectives de développement d’un tel système d’arme dans un contexte international complexe et mouvant. Pour cela, il s’agira d’étudier les caractéristiques des SALA, de se poser la question des enjeux que leur développement soulèverait et finalement d’évaluer la réalité de ce que certains considèrent comme la course à l’armement du XXIe siècle.
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