La Russie se considère en position d’infériorité par rapport aux Occidentaux et estime que le champ informationnel peut lui permettre de compenser ses faiblesses. Par l’utilisation du trolling, elle espère fragiliser nos opinions publiques en diffusant une information conditionnée et répondant à ses objectifs stratégiques.
La stratégie du troll : que visent les objectifs de la lutte informationnelle russe ?
The Strategy of the Troll: What is the Aim of the Russian Information Battle?
Russia feels it is in an inferior position with respect to Western countries and considers that the field of IT could allow it to compensate for its weaknesses. By using trolling, it hopes to undermine Western public opinion through the broadcasting of information manipulated to suits its own strategic objectives.
La lutte informationnelle (informacionnoe protivoborstvo) relève d’un point essentiel de la politique de défense russe (1). Elle englobe plusieurs espaces dont le point commun réside dans la diffusion de l’information : espace cyber, médias de masse, institutions internationales. Les différentes facettes de la lutte informationnelle, menée par les autorités russes, sont aujourd’hui perçues comme des « ambiguïtés et intimidations stratégiques » (2). Mais que visent ces moyens du point de vue de la stratégie globale déployée ? La politique de désinformation russe est-elle orientée vers un objectif précis ? Nous proposons d’interpréter la stratégie qui se déploie dans le cadre de la lutte informationnelle russe à la lumière d’un troll. L’hypothèse est que la nature des moyens utilisés répond avant tout aux objectifs défensifs de la Russie qui se considère comme étant « dominée » dans l’espace informationnel. Cet article propose de tirer des conséquences stratégiques d’une telle posture.
La (ré)émergence de la lutte informationnelle russe
La conception de la lutte informationnelle ne relève pas d’une invention stratégique de l’ère Poutine. En effet, suivant la thèse « continuiste » de l’histoire postsoviétique, ses fondations ont été posées durant la période soviétique avec, notamment, l’exploration stratégique et tactique du « contrôle réflexif » (3). Néanmoins, les objectifs actuels de la lutte informationnelle répondent, selon les autorités russes, aux exigences d’un monde multipolaire à la fois interconnecté, interdépendant et concurrentiel. Par conséquent, il serait erroné de considérer la résurgence de la lutte informationnelle comme une simple récurrence historique. C’est pourquoi il convient de la contextualiser à la lumière de la configuration politique russe actuelle.
La remise au goût du jour du facteur stratégique de l’information – et des moyens pour l’influencer – intervient suite à la vague des révolutions de couleur qui ont secoué l’espace postsoviétique dans les années 2000. S’ajoute, en plus de cela, la critique de l’autoritarisme dont fait l’objet le régime russe en 2004 et 2005 et qui contraint les autorités à réfléchir sur l’image que la Russie renvoie à l’étranger. Une première réponse à ce défi se trouve dans la conception de la « démocratie souveraine » promue par l’adjoint, chef de l’administration présidentielle de Poutine en 2007, Vladislav Sourkov (4). La thèse défendue par cette conception renvoie au fait que les puissances extérieures (l’Otan et les organisations internationales occidentales principalement) désirent « diriger » en les influençant les États postsoviétiques considérés comme « dénués de souveraineté ». Or, l’idée défendue par Sourkov consiste à défendre la souveraineté et donc la spécificité russe, voire le « monde russe », par tous les moyens politiques et économiques, mais aussi informationnels. Dans sa conception, Sourkov propose de considérer la souveraineté comme « un synonyme politique de compétitivité » (5). Selon les promoteurs de la doctrine, la Russie « n’accepterait aucun ordre mondial dans lequel elle n’aurait pas de poids dans les prises de décisions stratégiques, pas de voix dans les “conseils d’administration” » (6). La lutte informationnelle russe à l’ère Poutine réémerge donc dans un contexte où la Russie intègre le jeu du capitalisme et de la gouvernance mondiale tout en consolidant un projet proprement russe.
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