La Chine entretient un rapport ambivalent avec l’ordre international en proposant un modèle alternatif lui permettant d’étendre sa sphère d’influence avec une approche combinant certes un « soft power », mais aussi en renforçant considérablement ses capacités militaires.
Les ambivalences chinoises sur l’ordre international
Chinese Ambivalence Over the International Order
China is maintaining an ambivalent relationship with the international order by offering an alternative model that allows it to expand its sphere of influence through the use of soft power, yet at the same time markedly strengthening its military capability.
Comprendre le rapport qu’entretient la Chine avec l’ordre international, c’est peut-être évoquer le passé, mais c’est aussi le surmonter en étant lucide sur l’usage qui en est fait. La doxa chinoise part du « siècle d’humiliation » aux mains de l’Occident. En 2009, le grand défilé militaire pour le soixantième anniversaire de la fondation de la RPC était ainsi jalonné de 169 stèles, marquant chaque année depuis la première guerre de l’Opium. L’observateur occidental fait bien de se rappeler que l’hypermnésie officielle dans ce domaine s’accompagne très bien d’une amnésie obligatoire pour les 50 à 80 millions de victimes des trois premières décennies de la République populaire, dont le bilan a pourtant été placé par Xi Jinping sur un plan équivalent à celui des décennies de réformes qui ont suivi. La victimisation comme justification du nationalisme, tout comme l’invocation d’une « âme chinoise » spécifique ou d’une pensée chinoise qui serait « perpendiculaire » à la nôtre peuvent égarer notre compréhension. La Chine des Han a été à plusieurs reprises dirigée et imprégnée par d’autres au cours de l’histoire : l’hindouisme à travers le bouddhisme, les dynasties mongole et mandchoue, le christianisme salvateur, le Meiji modernisateur japonais avant l’occupation militaire, la culture occidentale sont autant d’apports successifs.
Le ressort de la société chinoise, c’est d’avoir absorbé et utilisé chacun de ses apports, par-delà un nationalisme ethnicisé. Ils sont en réalité devenus des modèles de force – la Chine absorbe et transmue le monde extérieur à son avantage.
L’histoire a aussi légué une armature étatique sans équivalent, et un modèle hybride de relation entre la bureaucratie céleste et une société en mouvement. Fonctionnaires et marchands à l’intérieur, soldats colons et émigrants pauvres à l’extérieur : cette dualité caractérisait déjà l’État impérial. On en retrouve une version dans la Chine de 2018 avec sa projection officielle d’une part, sa diaspora de l’autre. L’Occident a voulu déduire du retour de l’ouverture une convergence graduelle – le léninisme à la chinoise aurait été soluble dans l’économie de marché. À cette illusion, il faut opposer, par exemple, les 131 mentions du Parti communiste chinois par Xi Jinping tout au long de son discours au 19e congrès du PCC. Et sur le plan économique, c’est depuis 1994 (recentralisation fiscale), 1998 (restauration des entreprises d’État), mais plus encore depuis l’accession de Xi Jinping au pouvoir que l’État a repris toute sa place. S’il fallait chercher aujourd’hui un modèle occidental, ce serait plutôt du côté du big government fédéral américain des années 1950 : des autoroutes ouvrant le grand Ouest à l’intégration de la recherche et du développement civil et militaire, en passant par le conformisme social et idéologique, bien sûr cent fois plus martelé en Chine, les parallèles sont nombreux. Et si nous avons tous cru que l’ère du planisme à la soviétique était dépassée, il faut savoir que l’essor rapide du big data chinois, l’interconnexion sans aucune retenue des fichiers, permettent d’envisager la connaissance en temps réel des flux des entreprises et des consommateurs, et donc leur contrôle. Lors des vœux de Nouvel An de Xi Jinping, le rayonnage de sa bibliothèque laissait entrevoir des ouvrages sur l’intelligence artificielle (IA). La course dans ce domaine se joue avec l’Amérique.
Il reste 82 % de l'article à lire