Roger Faulques - L’homme aux mille vies (1924-2011)
Roger Faulques - L’homme aux mille vies (1924-2011)
« Un homme d’explosions brusques et de feu [aux] yeux gris et perçants », ainsi le décrit le commandant Hélie Denoix de Saint Marc qui le considère comme un des « deux capitaines [qui] ont eu une importance capitale dans ma vie […] C’était un solitaire. Il affrontait le destin de manière rageuse et désenchantée, sans céder un pouce sur la fierté, son moteur le plus sûr. »
Ajoutons à ces traits de personnalité une stature physique imposante et un visage, une « gueule de guerrier » que l’on peut admirer en couverture. Tel se présente Roger Faulques au lecteur. Il est né à Koblentz, en 1924, d’un père adjudant au 4e RTA et d’une mère pyrénéenne. Deux de ses oncles sont tombés au Champ d’Honneur pendant la Grande Guerre. C’est tout naturellement que, élevé dans un milieu imprégné des valeurs militaires, il va préparer Saint-Cyr à Toulouse.
Mais la fermeture de l’École fin 1942 y met un terme et en mars 1944 il rejoint la Résistance, le célèbre Corps-Franc Pommiès, puis il fera la campagne de France avec la 1re Armée de De Lattre, il a vingt ans, est caporal et reçoit sa première citation en Alsace.
Son ascendant sur ses coéquipiers et sa bravoure le font remarquer par ses chefs qui l’envoient à l’École militaire interarmes de Coëtquidan. Il y intègre la promotion Victoire, en juillet 1945, où il se liera avec d’autres futures figures légionnaires,
« Loulou » Martin, Louis Stien et Georges Hamacek. Il en sortira sous-lieutenant fin décembre 1945 et choisit la Légion étrangère.
Le sous-lieutenant Faulques est affecté au 3e REI avec lequel il débarque en Indochine le 25 avril 1946. C’est sur cette terre d’Asie que va se forger sa légende. Il la quittera, après trois séjours, en 1954 avec 7 blessures, 8 citations (dont 5 à l’ordre de l’Armée) et aura été fait chevalier à vingt-trois ans puis promu officier de la Légion d’Honneur à vingt-cinq ans !
Grièvement blessé lors des combats pour dégager le poste de Phu Tong Hoa, il est rapatrié en Métropole en octobre 1948. Il y trouve « l’incompréhension si ce n’est l’hostilité » et n’a qu’une hâte, « retrouver ces amitiés, ces dévouements noués dans les dangers partagés ». Sa convalescence achevée, il va effectuer les stages de spécialité parachutiste à Pau et se retrouve affecté au 3e BEP, à Sétif, puis au 1er BEP qu’il rejoint à Hanoï en avril 1950. Il y prend le commandement du PEG (peloton d’élèves gradés) dont il va faire l’unité d’élite du régiment.
Retenons le plus célèbre de ses faits d’armes, le 6 octobre 1950 : celui de la sortie du cirque de Coc Xa. Une seule issue pour les unités, 11e Tabor et 1er BEP, encerclées par le Viet Minh (VM), le passage de La Source, tenu par l’ennemi. C’est par une percée héroïque que le lieutenant Faulques, à la tête du PEG, au prix de pertes énormes et de plusieurs blessures graves, dans « un corps à corps démentiel », permettra aux assiégés de sortir du piège des Viets. Ce sera, hélas, un court répit et bon nombre de « survivants » des combats de la RC4 tomberont encore ou seront fait prisonniers.
Seul officier rendu par le VM, en raison de son état jugé désespéré, il est évacué à Hanoï où, décoré sur son lit d’hôpital, il expliquera vertement aux autorités présentes sa façon de penser sur les erreurs de commandement lors de l’affaire de la RC4. Les soins se poursuivront au Val-de-Grâce, à Paris, pendant deux années au cours desquelles il épousera son infirmière dévouée, Madeleine Rigail, le 12 avril 1952. À peine rétabli, il demande à repartir en Indochine et il débarque à Hanoï en février 1953 où il rejoint le Groupement des commandos mixtes aéroportés (GCMA) formé d’ethnies hostiles aux VM et chargés de harceler les arrières ennemis. Il va y faire merveille. Mais le désastre de Diên Biên Phu sonnera le glas de la présence française. Faulques quittera l’Indochine le cœur gros, laissant derrière lui huit années de sa vie, « les plus riches et les plus exaltantes ». Il écrira plus tard, parlant des « survivants de cette épopée », dans ce qui est un parfait autoportrait : « Soldats de l’impossible, sans calcul, sûrs d’eux-mêmes et orgueilleux de leurs sacrifices, ayant enterré dans cette terre d’Extrême-Orient leurs illusions de jeunesse et les meilleurs de leurs camarades, ce qui est peut-être le prix à payer pour vivre en hommes. »
Après de nombreux examens médicaux, il rejoint le 1er REP en avril 1955 à Zéralda, commandé par le chef de bataillon Jeanpierre. Il y retrouve une unité très soudée autour d’officiers de valeur : Saint Marc, Loth, Loulou Martin, Ysquierdo, Bonelli et, bientôt, son grand ami Robin. L’entraînement est intensif et il force l’admiration en atterrissant sur un pied, lors des sauts en raison d’un vieux souvenir de Coc Xa… Après l’affaire de Suez dont l’échec renforce l’impression de trahison qu’éprouvent les soldats vis-à-vis de la classe politique, c’est le retour en Algérie où le FLN crée un climat de terreur, en particulier à Alger, en posant des bombes dans les lieux publics, bars, stades, écoles, etc. En juin 1957, le pouvoir politique confie les pleins pouvoirs de police à la 10e DP, commandée par le général Massu. La ville va être quadrillée en secteurs répartis par régiments. Dans celui du REP, c’est le capitaine Faulques qui est responsable du renseignement. La Police refusant de lui fournir ses dossiers, il en organise le cambriolage. Des prêtres sont complices des poseurs de bombes ? Il les arrête ! Scandalisé par la vue des soutanes, son chef de corps, le Lcl Brothier, lui ordonne de les relâcher : « Faulques, obéissez. Je peux briser votre carrière ! – Vous ne briserez rien du tout, je vous flanque ma démission. J’en ai marre de cette armée de dégonflés. Au revoir et bonne carrière. »
Les interventions de Jeanpierre et de Massu lui rendront justice, il restera. L’obtention des renseignements ne va pas sans violence et une campagne de presse va se développer contre « la torture en Algérie » dont Faulques sera une des principales victimes et qu’il traitera par le mépris. Quoi qu’il en soit, la bataille d’Alger est gagnée et le FLN définitivement éradiqué. Il est alors affecté à l’état-major de la 10e DP mais le fort caractère de Faulques ne le pousse pas à obéir à n’importe quel supérieur, surtout si celui-ci n’est pas originaire de la Légion étrangère…
Muté au 2e REP en août 1960, il retrouve son ami Cabiro, avec lequel il va monter quelques belles opérations. Il n’est pas dupe des changements de cap de De Gaulle en Algérie et doit, par ailleurs, faire face aux accusations de torture : il en est à sa 23e citation à comparaître devant le juge d’instruction… Écœuré par ce contexte politico-judiciaire, il demande sa mise en disponibilité de l’Armée en janvier 1961, décision difficile mais inévitable. Il quitte l’Algérie avec deux nouvelles citations et la cravate de commandeur de la Légion d’Honneur à trente-cinq ans.
Mais la guerre continue pour lui puisque, pendant encore dix-neuf ans, il encadrera des mercenaires français au Katanga, au Yémen puis au Biafra, de 1961 à 1968, et qu’on le verra, ensuite, jusqu’en 1980 en Arabie saoudite, en Éthiopie, au Liban et même en Chine comme conseiller d’une entreprise privée très discrète… On peut avoir une idée des événements du Katanga à travers le roman de Lartéguy, Les Chimères noires, dont le personnage du héros, La Roncière, est inspiré de Roger Faulques.
En 1968, il est accusé par L’Express d’avoir torturé deux militants communistes en Algérie, Maurice Audin et Henri Alleg. Il assignera l’hebdomadaire en diffamation et le fera condamner fin 1969.
En 1980, le commandant Faulques prend une retraite discrète à Nice, il sera promu grand officier de la Légion d’Honneur en 2004.
Le 30 avril 2010, pour le 147e anniversaire du combat de Camerone, c’est lui, suprême distinction, qui est désigné par le commandement de la Légion étrangère pour porter « La Main » du capitaine Danjou, relique insigne présentée chaque année, sur le front des troupes, à Aubagne, sur la Voie Sacrée du 1er Étranger, par un Ancien particulièrement représentatif des valeurs de la Légion. Il confiera plus tard qu’à ce moment, il ne lui aurait « pas déplu de mourir sur la Voie Sacrée au milieu des légionnaires ».
Cet honneur viendra couronner les mille vies de ce guerrier qui s’éteindra un an plus tard, le 6 novembre 2011. Il aura parcouru le monde, les armes à la main durant trente-six ans, de 1944 à 1980. Vies qu’il résumera en confiant à un journaliste niçois : « Nous nous sommes bien amusés ! » Merci à Marc Dupont d’avoir fait revivre cette belle figure légionnaire : il faut lire ce livre pour en découvrir toutes les richesses. L’après Légion reste à écrire : avis aux amateurs… ♦