Le Travail est l’avenir de l’homme
Le Travail est l’avenir de l’homme
Après son essai L’innovation sauvera le monde paru en 2016, l’essayiste spécialisé dans l’économie, Nicolas Bouzou, poursuit sa réflexion prospective en se penchant sur le travail. Vaste sujet ! Dans un contexte où l’innovation technologique galopante engendre des mutations d’une ampleur potentiellement supérieure
à celles de la révolution industrielle du XVIIIe siècle, l’auteur prend acte du scepticisme ambiant et de la méfiance suscitée par l’intense cycle d’innovation destructrice à l’œuvre. Au cœur de ce spleen moderne qui frappe l’Europe et plus particulièrement la France, une crainte lancinante : la possibilité de la fin du travail humain, sous l’effet du remplacement de l’homme par la machine. Face à ce désenchantement qui alimente le discours décliniste, le fondateur de la société d’analyse Asterès tente de réconcilier innovation et progrès en montrant que malgré les turbulences, le travail n’est pas prêt de disparaître, bien au contraire. Mais encore faut-il prendre à bras-le-corps la mutation à l’œuvre pour en tirer parti, en jouant au plus fin avec ce qui est désormais l’horizon de toutes les attentes et de toutes les craintes : l’intelligence artificielle (IA).
Trois axes structurent l’analyse de Nicolas Bouzou. L’essayiste nous livre tout d’abord une réflexion sur le sens du travail et sur son rôle fondamental dans le développement humain. Sans travail, point d’humanité, mais une colonie d’esclaves oisifs et malheureux. C’est le risque principal d’une mauvaise gestion du tournant de l’IA : un abandon par l’homme du travail – essence de sa souveraineté – à la machine. L’auteur appui son propos sur un développement très pertinent de la classique dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, et montre au fil des pages à quel point le travail est une nécessité pour l’épanouissement humain. Première leçon : « C’est le travail qui rendra le monde encore plus humain ».
Ensuite, l’auteur offre une mise en perspective historique de la révolution technologique portée par l’IA, révolution qui connaît une nette accélération depuis le début de la décennie. Dans cette fresque, la rupture côtoie la continuité. Continuité, car les inquiétudes face à l’innovation sont récurrentes dans l’histoire – que l’on songe, parmi tant d’autres, aux luddistes ou aux canuts du XIXe siècle – tout comme la tentation d’une approche malthusienne du travail. Rupture, car les transformations à venir seront d’une intensité inédite, détruisant sans doute pour la première fois les emplois plus vite qu’ils ne se régénéreront. Mais si l’ampleur de la transition qui s’opère peut légitimement donner le tournis, Nicolas Bouzou montre que le champ de l’IA – « faible » aujourd’hui et hypothétiquement « forte » demain – est en réalité un gisement sans fin de travail pour l’homme, sous réserve que celui-ci anticipe les « migrations de compétences » nécessaires et sache utiliser ses avantages comparatifs. Deuxième leçon : « Plus les machines travailleront, plus nous devrons travailler ».
Enfin, cet essai a le mérite de pourfendre plusieurs mythes contemporains. Nicolas Bouzou démonte ainsi tour à tour l’illusion du revenu universel – qui ajouterait « une catastrophe financière à une catastrophe morale » –, le mirage de la fin du salariat – Uber n’a en réalité pas changé grand-chose – et l’utopie de la fin de l’effort humain. Troisième leçon : « La société du plein travail est possible et indispensable ».
Si le domaine militaire n’est pas spécifiquement abordé, les pages font néanmoins apparaître en creux la modernité de la défense, qui voit dans l’innovation une nécessité et un puissant appel à la transformation de ses structures pour tirer parti de l’IA, sans pour autant remettre en cause les fondements du « métier de soldat ».
À l’heure où les réflexions sur l’IA et ses conséquences abondent (1), on trouvera donc dans cet essai percutant des pistes utiles pour dépasser certains poncifs anxiogènes et aborder avec lucidité les défis de demain. Comme le déclarait récemment le député Cédric Villani en charge du rapport national sur l’IA, « il y a une certaine défiance de la population à propos de l’intelligence artificielle. Il faudra travailler sur ces sujets pour remporter la bataille » (2). Nul doute que l’ouvrage de Nicolas Bouzou y contribuera. ♦
(1) Emmanuel Desclèves (vice-amiral) : « À propos d’intelligence artificielle », Revue Défense Nationale, décembre 2017, p. 76.
(2) Cédric Villani (député) : « L’Europe doit investir 30 milliards pour l’intelligence artificielle », Le Figaro du 20-21 janvier 2018, p. 22.