Le Japon revoit son dispositif de sécurité en mer de Chine face à l’expansion chinoise cherchant à imposer sa présence navale. Cela signifie reprendre les mécanismes d’interopérabilité entre forces d’autodéfense et garde-côtes, aux modes d’action différents avec une approche plus intégrée.
Faire face aux « situations de zone grise » : la stratégie japonaise en mer de Chine de l’Est
Facing up to Grey Zones—Japanese Strategy in the East China Sea
Japan is revisiting its security arrangements in the China Sea in the face of increasing Chinese naval presence. Interoperability arrangements between the self-defence forces and the coastguard, whose modes of operation differ, will need to be reconsidered with a view to a more integrated approach.
Faire face aux « situations de zone grise » (grey zone situation) est devenu, ces dernières années, le principal défi de sécurité pour le Japon. Par ce terme, qui émane des documents de défense japonais mais dont il n’existe pas de définition juridique précise, les autorités nippones désignent des frictions répétées, ne relevant ni du temps de paix, ni du temps de guerre et qui ont trait à la souveraineté, au territoire et aux intérêts économiques maritimes (1).
Dans les faits, les situations de zone grise se réfèrent largement aux incursions maritimes chinoises près du territoire japonais, en particulier dans les eaux contiguës et territoriales des îles Senkaku, en mer de Chine de l’Est, revendiquées par Pékin sous le nom d’îles Diaoyu. Depuis 2012 et le rachat par le gouvernement nippon de trois des îlots à leur propriétaire privé, la Chine envoie en effet très régulièrement des bateaux patrouiller près des îles dans l’espoir d’affaiblir le contrôle effectif de Tokyo dans la zone (2). Ce sont les garde-côtes chinois et non la marine de guerre qui réalisent ces intrusions routinières, selon la formule 3-3-2 : 3 fois par mois, 3 navires des garde-côtes croisent dans les eaux japonaises, jusqu’à 2 heures chacun. Depuis l’été 2016 toutefois, les patrouilles s’intensifient, avec la participation d’un quatrième bâtiment. Ce type d’activités hybrides (3), mêlant acteurs civils et finalité militaire, fait craindre au Japon un autre type de scénario qui verrait la saisie des îles Senkaku par des forces spéciales chinoises déguisées en civils, protégées par la garde côtière puis la marine chinoises. Dans ce cas de figure, il pourrait être très difficile pour le Japon de reprendre le contrôle de la situation sans l’aggraver. Les garde-côtes chinois ont en effet l’avantage du nombre et disposent d’équipements plus puissants (4), sans compter la possibilité de « noyer » les forces japonaises par un afflux de bateaux de pêches. Le Japon pourrait alors être poussé à faire intervenir ses Forces d’autodéfense (ci-après, FAD) et prendre finalement l’initiative de recourir à la force pour mettre fin à ces activités.
Les situations de zone grise brouillent la frontière entre temps de paix et temps de guerre, entre forces de l’ordre et forces militaires. Ces activités posent deux types de défi pour le Japon : d’une part, elles testent son alliance avec Washington, toujours centrale dans sa posture de défense ; d’autre part, elles mettent en difficulté le système de sécurité japonais qui sépare strictement les organes civils (garde-côtes) et militaires (FAD) et complique leur coordination. Ce système dichotomique est ainsi peu adapté pour répondre à ce type de frictions « hybrides » (5). Pour renforcer sa capacité de dissuasion, le Japon a donc également commencé à construire une ligne de défense sur ses îles du Sud-Ouest (Nansei).
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