Géopolitique de la mer de Chine méridionale - Eaux troubles en Asie du Sud-Est
Géopolitique de la mer de Chine méridionale - Eaux troubles en Asie du Sud-Est
Des tensions en mer de Chine méridionale (MCM) résultent de nombreux travaux académiques, à la fois pluri et interdisciplinaires, dont l’analyse et la compréhension des causes et des enjeux semblent être la ligne directrice. Il serait concevable qu’un énième ouvrage sur cette thématique présente peu d’intérêt. Toutefois, comme tout phénomène social, qui plus est actuel, les contentieux en MCM ne sont pas figés.
À l’heure où la mondialisation est devenue dépendante de la mer (p. 12), les intérêts économiques et stratégiques qu’induit le contrôle d’un espace maritime ou d’un espace insulaire, entraînent une lutte permanente entre les pays riverains de la MCM. L’ouvrage répond au besoin incessant d’actualiser la recherche scientifique sur la MCM tout en apportant de nouvelles clés nécessaires à la compréhension des enjeux géopolitiques en Asie du Sud-Est. Dans cette perspective, le livre, composé de sept chapitres, s’organise autour de trois principales questions. Quel est l’état des revendications en MCM et quels sont les intérêts de la Chine ? Quelles sont les causes des conflits et quelle est la place des ressources naturelles dans ces derniers ? Comment la coopération, au travers d’accords bilatéraux et multilatéraux, pourrait atténuer le débat ? Une large partie de l’ouvrage est consacrée aux définitions des zones maritimes et aux enjeux soulevés par le contrôle d’une partie ou de l’ensemble de la MCM par les États côtiers. Ainsi, Frédéric Lasserre (chapitre 1) s’intéresse à la ligne des neuf traits – délimitant l’espace maritime chinois – et ses interprétations. Daniel Schaeffer, Éric Frécon et Barthélémy Courmont analysent respectivement les ambitions et les positions de la Chine hégémoniste (chapitre 3), de l’Indonésie, endiguée dans un « bouchon vaseux » stratégique (chapitre 4) et de Taïwan, partagé entre affirmation stratégique et territoriale, et affirmation diplomatique (chapitre 5). La mainmise exercée par Beijing en MCM, qui transgresse bien sou- vent la législation établie par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), ne se retreint pas au potentiel économique et énergétique de la région (chapitre 6). Comme le rappelle Daniel Schaeffer, l’enjeu principal « s’inscrit dans la confrontation sino-américaine » (p. 76), où la présence des États-Unis empêche le déploiement des sous-marins chinois. Dans ce contexte, deux stratégies sont mises en place par la Chine : d’une part, revendiquer l’ensemble des îles et îlots en MCM, et d’autre part, faire plier les États côtiers par le prisme des alliances stratégiques. Si la majorité des États revendique une partie de cet espace maritime, il n’en reste pas moins que sur les dix pays de l’ASEAN, seuls deux d’entre eux, Singapour et l’Indonésie, s’opposent catégoriquement à une alliance avec la Chine en MCM (p. 73).
De ces rivalités entre États côtiers, Keyuan Zou (chapitre 2) interroge la capacité du droit international à maintenir et promouvoir un climat de paix dans la région. En effet, la convention de Nations unies sur le droit de la mer, signée par l’ensemble des pays côtiers asiatiques, à l’exception du Cambodge et de la Corée du Nord, prévoit que tout « État disposant d’une façade maritime a le droit d’établir des zones maritimes sous sa juridiction » (p. 44). Or, en l’absence d’acteur supranational, l’efficacité du droit international et sa mise en application dépendent avant tout des États. Par conséquent, la libre interprétation des règlements, qui entraîne des revendications territoriales excessives, favorise les contentieux liés à la souveraineté des espaces maritimes (p. 60). Outre les accords bilatéraux et multilatéraux, qui permettent dans une certaine mesure une coopération et un climat de paix entre pays dans divers domaines (gestion de la pêche, protection de l’environnement, sécurité maritime, etc.), des modèles de coopé- ration alternatifs se mettent en place. Nathalie Fau (chapitre 7) s’intéresse notamment aux zones communes de développement (ZCD) dans le golfe de Thaïlande. Les ZCD permettent aux « États côtiers d’explorer et d’exploiter en commun des ressources maritimes situées soit des deux côtés de la frontière, soit dans une zone de chevauche- ment des revendications territoriales » (p. 141). Si elles encouragent de bonnes relations politiques entre les pays, leur application se heurte à l’absence de conformité entre revendications territoriales (p. 153). Ainsi, bien que ce modèle soit mis en avant par de nombreux pays, tels que la Chine, le développement des ZCD reste incertain. L’approche adoptée par l’ouvrage se focalise essentiellement sur la Chine, principal acteur en MCM. Il aurait été toutefois intéressant de détailler davantage les positions des autres États côtiers, comme l’aurait laissé penser le titre. Géopolitique de la mer de Chine méridionale - Eaux troubles en Asie du Sud-Est n’en reste pas moins un ouvrage rigoureux, dans lequel chaque chapitre se réfère à une bibliographie étoffée. Clair et illustré par de nombreux cas d’études, il permet de brosser un état de l’art de la géo- politique en mer de Chine méridionale tout en apportant de nouveaux résultats. ♦