La diplomatie n’est pas un dîner de gala. Mémoires d’un ambassadeur. Paris-Pekin-Berlin
La diplomatie n’est pas un dîner de gala. Mémoires d’un ambassadeur. Paris-Pékin-Berlin
Très tôt épris de la Chine, de sa langue et de sa culture, Claude Martin achèvera en 2014 une longue et brillante carrière diplomatique comme Ambassadeur à Pékin puis à Berlin. Les souvenirs qu’il livre dans un ouvrage de plus de 900 pages (un second volume consacré à la période berlinoise est prévu) constituent à la fois le récit d’un itinéraire personnel, une fresque de la transformation de la Chine au cours des quarante dernières années et une longue enquête sur les avatars d’une politique française vis-à-vis de Pékin qui, tout en étant consciente des enjeux, accumule souvent erreurs et rendez-vous manqués.
L’auteur n’a pas voulu se limiter à publier des carnets diplomatiques et à livrer un témoignage des rencontres et événements qui marquent ses postes successifs au Quai d’Orsay, au cabinet du Ministre, à la Direction des affaires économiques, où se négocient alors à Bruxelles les premières politiques européennes, à la Direction d’Asie, où il s’implique en particulier dans la crise cambodgienne, puis à ses différents séjours à l’ambassade à Pékin.
Il analyse et, souvent, dénonce, les comportements des acteurs des jeux politiques et économiques qui font de la relation de Paris avec l’Asie tantôt un objet de fascination, notamment culturelle, et tantôt le théâtre d’incompréhensions politiques et d’erreurs diplomatiques et stratégiques.
Alors même qu’il contribue personnellement à faire accueillir en France nombre d’intellectuels et de créateurs chinois dissidents, réfugiés politiques après les événements de Tien an Men, il se montre particulièrement sévère vis-à-vis de l’exploitation personnelle que recherchent alors certains hommes politiques et de médias autour du thème des droits de l’homme. De même, ne cache-t-il pas sa colère contre les acteurs de la longue saga du contrat d’armement concernant des « frégates de Taïwan ». Il décrit les compromissions, reniements et multiples fausses promesses, auxquels se livrent les acteurs, dont il ne dissimule pas les noms. Cette affaire se révélera ruineuse pour le crédit de la France à Pékin et pour ses positions en Chine face à ses compétiteurs européens et américains.
De ce point de vue, les mémoires de Claude Martin constituent un témoignage de première importance sur la manière dont la France, qui bénéficiait aux yeux des autorités de Pékin du crédit d’avoir été la première à les reconnaître diplomatiquement, a partiellement gâché ses atouts entre 1970 et 1980.
L’ouvrage de Claude Martin montre également la difficulté de combiner le temps long de l’action diplomatique déployée sur le terrain, grâce à la multiplication des réseaux personnels, le développement des affinités culturelles et la compréhension en profondeur des évolutions socioculturelles du pays et celui, qui ressort du temps court, qui voit les dirigeants dans la capitale soumis à toutes sortes d’urgences changeantes et de pressions médiatiques, politiques et électorales. La démonstration détaillée qui est faite de cette tension permanente, au cœur des diplomaties modernes, au moins dans les pays démocratiques, est d’autant plus convaincante qu’en l’occurrence il s’agit avec la Chine d’une relation que l’on voit au fil des pages devenir de plus en plus incontournable.
Mais l’auteur ne s’est pas contenté de relater les épisodes d’une riche carrière diplomatique. Son ouvrage est aussi un témoignage de sa passion pour la Chine, ses hommes et ses femmes, sa culture et ses paysages.
Quittant le plus souvent possible Pékin pour se rendre en province, y compris dans les régions les plus éloignées et alors encore peu accessibles, il décrit la diversité des villes et des régions visitées, et même souvent revisitées à différentes périodes de ses séjours en Chine. Il nous donne ainsi une vision privilégiée de l’évolution rapide et en profondeur du pays avec un recul historique inédit.
Pour le lecteur, c’est un plaisir supplémentaire de lire, après les portraits des hommes et des événements qui ont fait le pays d’aujourd’hui, de retrouver, à l’occasion de ces incursions dans la Chine profonde les témoignages d’une culture et de paysages demeurés toujours aussi fascinants.
En dépit de son titre, qui peut apparaître un peu trop limitatif (allusion à un propos de Mao Zedong sur la révolution), les mémoires de Claude Martin constituent un témoignage important sur l’accession de la Chine au rang de puissance mondiale en même temps qu’une invitation à revisiter la mutation en profondeur du pays. ♦