Les Sentiers de la guerre économique n° 1 - L’École des nouveaux espions
Les Sentiers de la guerre économique n° 1 - L’École des nouveaux espions
Premier ouvrage d’une série consacrée à la guerre économique, L’École des nouveaux espions est tout à la fois une introduction générale à l’intelligence économique, le récit d’une aventure personnelle et un plaidoyer pour la diffusion d’une culture du renseignement économique dans les sphères publiques et privées françaises.
Pionnier de l’intelligence économique en France et enseignant à l’École de Guerre économique (EGE) fondée en 1997 (cette « école des nouveaux espions »), Nicolas Moinet décrit tout d’abord dans son essai la difficile genèse de cette discipline dans notre pays au tournant des années 1980-1990. À la faveur de la mondialisation économique et financière qui explose à partir de la fin de la guerre froide, c’est en effet toute une culture qu’il a fallu construire dans la dernière décennie du XXe siècle. En se fondant sur son expérience personnelle, Nicolas Moinet montre ainsi comment un petit groupe d’experts d’horizons très différents a contribué à cette prise de conscience des rapports de force à l’œuvre dans le champ économique, dans un pays culturellement mal disposé pour penser la rivalité et intégrer les codes du renseignement économique, de la sécurité de l’information et de la stratégie d’influence. Sous la plume de l’enseignant à l’EGE, on découvre la lente diffusion d’un « esprit de défense » du monde militaire vers le monde économique, et la filiation très nette entre intelligence économique et défense nationale, à la fois en raison des enjeux et des acteurs.
Forme de voyage initiatique, le récit s’accompagne de nombreux exemples illustrant non seulement la réalité des rivalités et de la prédation à l’œuvre dans le monde économique, mais aussi l’impréparation relative de la France pour cette compétition. L’analyse du cas français à laquelle se livre Nicolas Moinet jette en effet une lumière crue sur l’amateurisme persistant de notre pays face aux machines de guerre anglo-saxonnes, japonaises et désormais chinoises : malgré la petite révolution culturelle opérée dans les années 1990, la marge de progression reste encore significative pour passer de victoires tactiques isolées à une véritable stratégie globale. Dans la même veine, le cas de l’Europe, « qui ne voit la mondialisation que par la libre concurrence et non en termes de politique industrielle », n’est guère plus brillant. Car, nous rappelle Nicolas Moinet, « la guerre économique n’est pas une perversion du système mais bien LE système, c’est-à-dire l’expression des rapports de forces et d’intérêts de puissance ». Et de plaider pour un réel patriotisme économique décomplexé, qui suppose, au-delà de la simple déclaration d’intention, une formation des acteurs et une organisation associant les acteurs publics et privés de « l’équipe France ».
Relevons également que cet essai ramassé propose au fil du texte de nombreuses références bibliographiques utiles aux lecteurs qui souhaiteraient appréhender l’intelligence économique par le haut.
En dernier lieu, on reste toutefois frappé, en refermant l’ouvrage, par l’abondance du champ lexical importé du monde militaire, à commencer par les notions omniprésentes de guerre et de stratégie. Or, comme l’a fort bien montré Hervé Coutau-Bégarie, ce glissement sémantique consistant à appliquer des notions de stratégie à toute démarche consistant à mettre en relation fins et moyens contribue à entretenir une « confusion extrême sur le plan des concepts » (1) et in fine une dissolution de la stratégie. Car « un simple conflit d’intérêts, une approche rationnelle pour résoudre un problème quelconque, ne suffisent pas à caractériser la stratégie » (2). Dans le même ordre d’idée, on pourra s’interroger sur la légitimité de l’emploi du mot « guerre » pour caractériser ce qui reste fondamentalement une activité non sanglante et en grande partie régulée. Une problématique sans doute un peu éculée mais qui garde toute sa pertinence au moment où le terme « guerre » est utilisé tous azimuts. ♦
(1) Hervé Coutau-Bégarie : Traité de stratégie, 7e édition ; Paris, Économica, 2011, p. 76.
(2) Ibidem, p. 78.